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ma sensibilité. Il en est de même des sensations de goût. Elles sont, il est vrai, mieux différenciées et plus complexes que les précédentes, car les diverses parties de la langue ne sont pas sensibles aux mêmes saveurs ; de plus, le sens du goût est d’ordinaire plus exercé que l’odorat, ayant plus de valeur comme instrument de connaissance : chez le dégustateur par exemple, le procédé d’analyse imaginaire atteint une délicatesse très grande. Ces sensations n’en restent pas moins assez vagues et assez simples, et nous paraîtraient sans doute subjectives, si elles n’étaient associées à toutes les sensations tactiles qui accompagnent la dégustation. — En somme, les odeurs et les saveurs occupent une place intermédiaire entre les sensations et les perceptions : dans la pratique, nous les regardons plutôt comme objectives ; mais il nous est facile, par un simple effort de réflexion, de leur enlever ce caractère et de nous les représenter comme de simples sensations.

J’attribuerai ce même caractère d’indécision aux sensations dites subjectives du toucher, de l’ouïe et de la vue. Dans certains cas, les organes de nos sens sont modifiés par des causes tout intérieures, ou excités par des agents d’une autre nature que ceux qui font d’ordinaire impression sur eux. — Ainsi une simple démangeaison pourra faire l’effet d’un frôlement ou d’une piqûre. — Nous pouvons faire bourdonner ou claquer nos oreilles par un effort musculaire particulier. S’il pénètre de l’eau dans le conduit auditif, nous éprouvons une sensation caractéristique bien connue des nageurs, et pendant quelque temps tous les bruits que nous entendons nous font moins l’effet de bruits extérieurs que de tintements d’oreilles. Les obstructions de la trompe d’Eustache, les perforations du tympan sont encore accompagnées de sensations spéciales. — Une pression mécanique exercée sur la rétine, une excitation électrique du nerf optique ou du cerveau lui-même nous fera voir ces lueurs vagues ou ces brusques éclairs, auxquels on a donné le nom de phosphènes. Les phénomènes qui s’accomplissent à l’intérieur même de l’œil nous donneront un grand nombre de perceptions dites entoptiques. — Quel caractère attribuerons-nous à ces sensations ? Nous avons une tendance à les regarder comme subjectives, parce qu’elles sont moins complexes que les perceptions ordinaires, et parce que nous savons par expérience qu’elles sont dues à des causes internes ou anormales ; mais d’autre part, comparées aux sensations absolument subjectives, elles ont une complexité plus grande qui tendrait à leur faire donner le caractère de l’objectivité. De sorte que nous leur attribuons une nature intermédiaire ; nous leur accor-