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SOURIAU. — les sensations et les perceptions

dons l’apparence de l’objectivité, tout en reconnaissant que ce n’est qu’une apparence.

Il faut en dire autant des représentations mentales, par lesquelles nous faisons reparaître dans notre conscience l’image des phénomènes autrefois perçus. Ces représentation-sont à peu près de même nature que les perceptions mêmes ; seulement les sensations dont elles se composent sont moins intenses, et surtout beaucoup moins complexes. En effet, lorsque, après avoir perçu un objet, nous l’imaginons, beaucoup des détails de l’objet ne se retrouvent pas dans l’image. Que je regarde un objet quelconque, cette page par exemple, et puis que j’essaye, en fermant les yeux, de me la représenter : autant ma perception était complexe, autant ma conception est vague et pauvre de détails ; c’est à peine si je me représente une surface blanche où çà et là flottent quelques points noirs. Il en serait de même pour une image tactile ou auditive, comparée aux perceptions qu’elle est censée reproduire. Cette simplicité des images nous les fait paraître subjectives quand nous les comparons à de vrais objets ; mais elle n’est pas assez grande pour leur donner un caractère de subjectivité absolue, et elles nous sembleront plutôt objectives quand nous les comparerons à de vraies sensations.

Au lieu de considérer, comme nous venons de le faire, des états de conscience d’une complexité moyenne et de montrer que dans ce cas nous pouvons les ranger presque à volonté dans l’une ou l’autre catégorie, nous pouvons maintenant considérer des sensations très simples que nous compliquerons peu à peu, ou des perceptions très complexes que nous irons en simplifiant : nous les verrons alors perdre insensiblement leur apparence primitive, devenir un instant indécises, et enfin affecter nettement l’apparence opposée. — Une épingle, à demi enfoncée dans une pelote de laine, et sur laquelle j’appuie légèrement la paume de la main, me donne une sensation simple et de caractère subjectif ; deux épingles me donneront une double sensation qui commencera à ressembler à une perception ; que l’on place maintenant sur la pelote trois épingles en triangle, quatre en carré, six en hexagone, une trentaine en cercle, et mes sensations, prenant forme peu à peu, formant un tout de plus en plus complexe, finiront par ne plus se présenter à moi comme des sensations tactiles, mais comme la forme même d’un objet tangible. Quand un objet est teint d’une couleur uniforme, et que la surface en est unie, je puis me représenter assez bien sa couleur comme une simple sensation colorée ; plus ses couleurs seront différenciées, trancheront les unes sur les autres, et seront nuancées par les accidents de la surface, moins il me sera facile de leur conser-