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ANALYSES.h. steinthal. Science du langage.

étroit, le positivisme le plus rigoureux est lui-même contraint d’accepter les éléments à priori qui sont la condition de toute connaissance ; d’autre part, s’il est vrai que la métaphysique et la logique se meuvent dans l’élément pur de la pensée apriorique, l’esprit, s’il demeure dans cette sphère de la forme abstraite, est impuissant à fonder une connaissance réellement objective. La forme ne peut créer la matière, et la matière n’est pas sans la forme ; il n’y a ni spéculation absolue ni empirie absolue (16). Ainsi établir entre la synthèse et l’analyse une opposition absolue, c’est séparer violemment par une abstraction arbitraire et illégitime deux moments indissolublement unis ; la véritable méthode consiste dans la suppression de ce qu’elles ont l’une et l’autre d’exclusif et dans leur exercice simultané et harmonieux ; la pensée pense synthétiquement dans l’analyse (pp. 17-20).

De l’erreur des deux doctrines opposées sont nées les grandes luttes de l’empirisme et de la spéculation qui remplissent l’histoire de la philosophie. Aristote, les Néoplatoniciens, la Scholastique, Hegel ont considéré les notions à priori comme des réalités objectives que l’esprit doit atteindre ; ils les ont ordonnées suivant un ordre hiérarchique ; ils ont cru que l’esprit qui s’était élevé à l’intuition de ce monde supérieur des idées en pouvait à son gré parcourir les degrés en sens divers, par l’analyse ou la synthèse. Bacon le premier porta la main sur ce fragile édifice d’entités idéales, mais ce fut au profit d’un empirisme exclusif. Il était réservé à Kant de ruiner à jamais ces vaines tentatives, en déterminant la véritable nature et la portée des catégories et des idées. — Dans la voie que Kant lui a ouverte, la philosophie doit chercher l’union de l’à priori et de l’à posteriori ; elle doit, dans la métaphysique et la logique, étudier les formes suprêmes de la pensée, les catégories, les notions ; puis, afin de réaliser l’unité du savoir, elle doit contempler de cette hauteur spéculative la réalité empirique, revêtir de ces formes à priori les matériaux sans nombre que lui fournissent les investigations de l’expérience ; et de cet effort naissent la philosophie de la nature, la philosophie de l’histoire, la philosophie du langage. (pp. 20-25).

Nous serons plus bref sur ce qui suit. L’auteur y détermine l’objet et la division de la science du langage, et ses rapports avec les autres sciences (Intr., II et III, pp. 28-44). — La science du langage se trouve en présence de ce fait primitif que les hommes représentent au dehors et se communiquent le contenu de leur conscience à l’aide de sons diversement organisés. La philosophie doit révéler au linguiste le sens réel et la portée de cette manifestation de l’esprit, lui donner les catégories qu’il devra employer dans son étude, lui fournir la base de sa science. La philosophie du langage aura donc nécessairement une première partie traitant du langage en général, de son origine, de son rôle dans l’esprit. La seconde suivra le langage dans son développement à travers les langues diverses, qu’elle classera et comparera, en s’appuyant sur la grammaire, le vocabulaire et l’histoire de chacune d’elles. — Elle