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TANNERY. — la physique de parménide

sur les autres ; une est formée de l’élément subtil, une autre du dense ; les autres sont intermédiaires et mixtes de lumière et d’obscurité ; toutes sont environnées comme par un mur solide sous lequel est la couronne ignée ; solide est également ce qui est au centre de toutes, et au-dessus vient aussi une couronne ignée ; celle qui est au milieu des mixtes est pour toutes la source du mouvement et de la genèse ; il l’appelle δαίμονα κοβερνῆτιν, κλῃδοῦχον ἀνάγκην. L’air s’est détaché de la terre, dont la violente condensation a été accompagnée d’une évaporation ; le soleil et la voie lactée sont des soupiraux de feu ; la lune est un mélange de feu et d’air. C’est l’éther qui est au plus haut et qui enveloppe le tout ; au-dessous vient la partie ignée que nous appelons ciel, puis immédiatement ce qui environne la terre. »

Cette description passablement confuse permet différentes interprétations ; la première question à résoudre concerne évidemment la forme des couronnes. Ed. Zeller, s’appuyant sur la sphéricité de la couche environnante que Stobée dit solide et qu’il appelle éther, et sur celle du noyau central (la terre), dit qu’on ne voit guère ce que pourraient être les couches intermédiaires si elles n’étaient des sphères creuses. Je crois au contraire qu’on doit les considérer comme affectant la forme de couronnes cylindriques emboîtées les unes dans les autres.

Une telle représentation est exactement celle du mythe d’Er au livre X de la République de Platon ; et il ne me semble pas douteux que ce soit au système de Parménide que ce mythe fasse directement allusion. Le fuseau central de l’Anankê l’indique suffisamment ; si la présence des sirènes est une marque de pythagorisme, elle peut seulement signifier soit les relations de Parménide avec l’école, soit plutôt l’origine des déterminations particulières données par Platon et qui évidemment ne remontent pas à l’Eléate[1].

Reportons-nous à la conception d’Anaximandre et essayons de la traduire dans le langage de Parménide. Le Milésien suppose trois couronnes concentriques à la terre, à des intervalles numériquement déterminés et qui correspondent à la voie lactée, à l’orbite de la lune et à l’orbite du soleil ; ces couronnes sont formées de l’élément relativement dense et obscur (air) et remplies de l’élément subtil et lumi-

  1. J’ai étudié ces déterminations particulières dans un de mes articles sur l’Éducation platonicienne (Revue philosophique, XII, pp. 152-156), où j’ai déjà signalé que la source première de la conception cosmologique du mythe se trouvait dans la doctrine d’Anaximandre. Le plan de cet article m’empêchait d’insister sur la corrélation directe avec le système de Parménide. Pour Anaximandre, voir Revue philosophique, XIV, p. 618-636.