Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 18.djvu/690

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
686
revue philosophique

innervation est si faible qu’elle ne provoque en moi que le sentiment de mon désir de parler. Quand je pense, par exemple, le mot Paris, mes muscles s’ébranlent comme si j’allais le prononcer.

Il est plus facile de se rendre compte du même fait en n’opérant que sur des consonnes. Lorsque je me forme l’image de la lettre P, il se produit dans mes lèvres la même sensation que si j’allais réellement l’articuler. Si je pense la lettre R, j’éprouve à la base de la langue la même sensation que si je voulais formellement émettre cette consonne.

Cette sensation, selon moi, constitue l’essence de l’image du son : Lorsqu’on émet devant moi le son R, j’éprouve bien une impression acoustique, et si je me forme aussitôt l’idée de cette lettre, je reproduis également la même impression, mais elle s’évanouit peu à peu, plus tôt ou plus tard, selon le degré de fréquence avec lequel on a entendu la même voix, et la disposition dans laquelle on se trouvait pour l’entendre. Ainsi j’ai conservé une idée très nette de la voix de mon père, dont la mort remonte cependant à trente ans. Je n’ai au contraire rien retenu du son de voix de la personne qui me causa un vif chagrin, il y a vingt ans, en m’apportant une fausse nouvelle, bien que je me rappelle exactement toutes ses paroles. De quoi se compose donc le souvenir que j’en ai gardé ? Si je ne fais attention qu’à ce que j’éprouve au moment où ma mémoire me les retrace, je constate que je les prononce intérieurement. Si parmi elles, il se rencontre un P, mes muscles s’ébranlent comme si j’allais l’articuler. Il en est de même pour un R et pour tous les autres sons, ainsi que pour tous les mots.

Cette innervation, dont l’origine dans une certaine région motrice de l’écorce cérébrale, est transmise par les nerfs moteurs, et c’est de la transmission consciente de cette impulsion motrice venant du centre psycho-moteur que naît à proprement parler l’image du discours. Ces impulsions sont-elles encore trop faibles pour provoquer un mouvement réel des muscles, je parle intérieurement ; mais croissent-elles en intensité, ou mon excitabilité seule grandit-elle, ce discours intérieur se transforme en une succession de mots réellement articulés.

J’appelle ces réprésentations de mots des images motrices.

Le centre du langage dans l’écorce du cerveau (circonvolution de Broca) repose en fait dans une région motrice. Or cette région peut être excitée ou par l’entremise du nerf auditif, si j’entends prononcer le mot, ou par l’entremise du nerf optique, si je lis, ou si je le pense de moi-même, par des excitations internes. Les excitations de ce genre sont les plus faibles. Il en résulte que l’on oublie