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ANALYSES ET COMPTES RENDUS



Henri-Frédéric Amiel.Fragments d’un journal intime, précédés d’une étude par Edmond Scherer, 2 vol.  in-12. Paris et Genève, 1883 et 1884.

La publication posthume de ces fragments fera survivre le nom d’un penseur qui, de son vivant, n’a pas eu de célébrité. Amiel s’était fait connaître comme écrivain par des articles de critique qui avaient été remarqués d’un petit nombre de connaisseurs seulement, et surtout par quelques volumes de poésie où l’analyse, la réflexion, la recherche délicate de l’effet l’emportaient trop sur les grandes qualités poétiques. Leur succès n’avait été que médiocre. Le succès de ses cours d’esthétique et de philosophie à l’Académie, puis à l’Université de Genève, avait été moindre encore. Ce n’est pas que son enseignement fût sans valeur ; mais il était mal approprié à l’âge et à l’état intellectuel de ses auditeurs. Il manquait de deux qualités, sans lesquelles des leçons sur ces difficiles matières ne peuvent guère avoir de prise sur de très jeunes esprits, la netteté des thèses et le développement dialectique. Les cours d’Amiel ressemblaient trop à des résumés encyclopédiques. C’étaient, comme il le dit lui-même[1], des études concises, substantielles, serrées. Les sujets y étaient étudiés jusque dans leurs ramifications les plus lointaines avec une grande richesse de connaissances scientifiques. Les opinions diverses étaient exposées d’une manière objective et parfaitement impartiale. Mais le professeur, voulant tout dire, disait tout si rapidement, et il indiquait le plus souvent ses propres conclusions d’une manière si légère, que son enseignement glissait sur la surface des intelligences, sans y pénétrer profondément. Incapables de saisir comme au vol un aussi grand nombre d’idées, et de conclure par eux-mêmes, les élèves étaient frappés surtout de la forme des cours qui leur paraissaient des machines compliquées, subtiles quelquelquefois jusqu’à la puérilité, et trop encombrées de numéros, d’accolades et de tableaux graphiques. En somme, la plupart des étudiants, et celui qui écrit ces lignes doit avouer qu’il était du nombre, en somme nous n’étions qu’à moitié contents de nos leçons de philosophie, et nous nous étonnions fort lorsqu’un camarade plus âgé ou d’un esprit

  1. Voir Fragments, II, p. 265.