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ANALYSES.arréat. La morale dans le drame.

et « d’apporter à la science de la morale le riche tribut des analyses littéraires. »

Partant de là, la voie à suivre était tout indiquée. Il s’agissait, après avoir rappelé quelles sont les sources de notre activité morale, d’analyser les idées fondamentales de bien, de commandement moral ou du devoir, de responsabilité et de liberté, de remords et de sanction, en choisissant parmi les œuvres des poètes épiques et dramatiques, et aussi des romanciers, celles qui offraient un terrain plus favorable à la critique de ces faits et de ces idées. On devine quels choix d’observations pouvaient fournir, par exemple, les tragiques grecs pour l’étude du bien et des fins pratiques du devoir, le Macbeth de Shakespeare pour l’étude du remords ; le don Carlos de Schiller pour l’étude du commandement moral. Mais le sujet promettait encore davantage. Une critique morale dont le drame, l’épopée et le roman sont la matière, se présente sous la forme intéressante d’une enquête historique dont le résultat est au moins d’esquisser le développement des conceptions morales à travers le temps, par le rapprochement, au seul point de vue éthique, d’œuvres ou plutôt de situations analogues. Ainsi la situation d’Hamlet est comparable à celle d’Oreste ; le Caïn de la Bible à celui des Mystères du moyen âge et à celui de Byron ; le Ruedegèr des Nibelungen au Max Piccolomini de Wallenstein, etc. Une fois dans l’histoire, l’auteur se trouvait conduit à étudier ces grandes crises de la formation du droit qui s’appellent les conflits tragiques, les conflits moraux ; à peser la valeur de certains mobiles, tels que l’espoir ou la crainte d’une vie future, et finalement à exprimer les grandes lignes d’une morale positive n’ayant rien de commun avec les postulats et les hypothèses des moralistes de l’intuition. Le chapitre des conflits moraux est, à quelques égards, le point central de l’œuvre. M. Arréat y fait voir comment l’objet relatif du devoir peut varier et varie, tandis que la force de la démonstration qui oblige demeure constante. Estimant que la justice a au fond le même principe que la science, et, comme dit Littré, « que l’assentiment commandé des deux parts s’appelle ici démonstration, et là devoir », il a voulu montrer par l’exemple, qu’une vérité de l’ordre moral s’impose avec la même force qu’une vérité quelconque de l’ordre physique, dès qu’elle a pénétré notre sentiment. Ainsi, d’après l’auteur, le moraliste peut conserver au devoir un certain caractère absolu, qui lui est nécessaire, sans sortir pour cela des conditions relatives de toute science. Chemin faisant, il y avait aussi à dégager les rapports qui existent entre le poète et le milieu où il a vécu, à mettre en lumière le caractère philosophique particulier à l’homme et au temps. Il y avait à indiquer, par exemple, les rapports de Sénèque le Tragique avec les stoïciens, de Corneille avec le système théologique et politique de Bossuet, de Schiller avec ia doctrine de Kant. L’auteur s’est acquitté à souhait de toute cette besogne peu facile.

M. Arréat a attaché, comme il convenait, une importance particulière à l’œuvre de Shakespeare Une large part est faite aussi aux drames