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ANALYSES.s. rubinstein. Essays de psychologie, etc.

et négligent toutes les consonnes. » Le plaisant ici est dans l’emploi de deux expressions différentes pour dire la même chose, et la vanité du pareil traitement appliqué par l’étymologiste aux deux séries de lettres en prend une évidence toute singulière.

Le procédé n’est pas différent dans le comble, ce genre de calembour qui était hier en grande vogue. Mais dans le comble l’une des séries est représentée par la question. Et par exemple : « Quel est le comble de la propreté ? — C’est d’essuyer des revers. » Ce genre de mots fait bien valoir la juste observation de notre autoresse, qu’une saillie est plus vive quand les deux groupes qu’on oppose sont plus distants. Elle cite à ce propos la qualification mordante de « déficit découvert » appliquée par un membre du parlement à la femme du ministre des finances, qui montrait au bal sa pauvre gorge trop décolletée. Plus vive est la surprise, meilleur est le mot.

Si maintenant on veut passer à l’étude du comique en général, on peut le faire en considérant non plus seulement des contrastes d’images ou de vives idées, mais des contrastes de raisonnements, de gestes et de situations.

La situation du bonhomme Demea, dans les Adelphes de Térence, devient comique du moment où Demea, en se flattant de connaître la conduite de son fils Ctésiphon, montre précisément qu’il l’ignore. Toujours nous retrouvons deux termes qui sont discordants, et dont la discordance éclate sur un accord fictif. Et l’on conçoit pourquoi le comique touche de si près au tragique ; car cette discordance devient pénible aussitôt qu’elle affecte un de nos sentiments profonds ou qu’elle provoque notre pitié. Si le Sganarelle de l’École des Maris prête franchement à rire, le George Dandin n’est pas loin de faire pleurer.

Mais changeons de sujet et venons à la caractéristique de la fantaisie grecque. Mlle Rubinstein propose une théorie assez curieuse ; elle prêtent attribuer la direction profonde du génie d’un peuple à la puissance d’un sens qui serait devenu chez lui prédominant à la faveur des circonstances, et, par exemple, une prédisposition à la « vue stéréométrique » aurait été la causa efficiens du caractère plastique (Sinnlich-plastisch) de la civilisation grecque. Je pourrais reprocher à l’auteur, incidemment, de nous donner un peu trop une histoire abrégée de la poésie grecque, sans dégager nettement les caractères qui confirmeraient sa thèse. Mais sa thèse même ne me paraît pas d’emblée acceptable, et je trouve une impossibilité logique et historique à reconnaître dans l’exercice de l’œil la condition maîtresse de l’évolution de l’art et de la science chez les Hellènes.

D’abord cette qualité de la vue chez les Hellènes, ou de l’ouïe chez les Hindous, serait une simple qualité de race, et, s’il est vrai que ses aptitudes particulières assignent son rôle à un peuple dans l’œuvre de la civilisation commune, il nous faut aussi considérer, en dehors des conditions locales de la race et du milieu, des conditions intellectuelles plus générales, et le développement humain en ses divers ordres dépend de