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triompher. Seulement les interrogations doivent être précises et il est souvent nécessaire de les multiplier. Là encore il faut bien se rendre compte que l’hypnotisé a conservé sa conscience et un reste de volonté, qu’il saura éluder certaines questions et que ses réponses s’appliqueront juste à la question posée. Il pourra refuser de répondre à une question générale, mais il est bien rare qu’il refuse de répondre à une demande précise portant sur un fait ou un point déterminé.

Je n’ai pas besoin d’insister sur les dangers que présente cette impossibilité presque absolue du refus de répondre. Il est utile cependant de savoir jusqu’où on peut aller et, à ce point de vue, je citerai les deux cas suivants, les seuls du reste dans lequels j’ai poussé l’indiscrétion un peu loin. Je demande à Mlle … : Aimez-vous quelqu’un ? — Non. — Avez-vous aimé quelqu’un ? — Oui. — Qui ? — M. X… (Elle le nomme). L’aimez-vous encore ? — J’y pense beaucoup moins… Le second fait date de l’époque où j’étais encore étudiant. Mlle X… était sleeptalking, comme disent les Anglais ; elle parlait haut pendant son sommeil. Un jour je profitai, un peu indiscrètement peut-être, d’un moment où elle parlait ainsi pendant son sommeil pour lui répondre et engager avec elle une conversation véritable ; elle était dans un état tout à fait analogue au somnambulisme provoqué ; je lui fis raconter ainsi toute sa vie passée et entre autres choses elle m’apprit qu’elle avait eu un enfant, fait que personne ne connaissait dans son entourage et qu’elle cachait soigneusement. Une fois réveillée, elle fut excessivement effrayée quand je lui racontai tout ce qu’elle m’avait dit et elle me supplia de lui garder un secret dont la divulgation aurait pu avoir pour elle des conséquences très graves. Des faits de ce genre ont déjà été observés. Demarquay et Giraud-Teulon (Recherches sur l’hypnotisme) citent le cas d’une dame qui, mise dans le sommeil hypnotique, leur fit des confidences tellement dangereuses pour elle-même qu’ils s’empressèrent de la réveiller, et le Dr Liébault raconte dans son ouvrage sur le sommeil qu’une jeune fille endormie lui fit sa confession complète comme si elle parlait à son confesseur.

Y a-t-il, au point de vue de la facilité de résistance, une différence entre les suggestions faites pendant le sommeil hypnotique et les suggestions faites à l’état de la veille ? Il semblerait, à priori, qu’il doit en être ainsi et qu’il doit être plus facile au sujet de résister aux suggestions faites à l’état de veille. C’est en effet ce qui arrive ordinairement, du moins chez les sujets qui n’ont pas été hypnotisés très fréquemment et sur lesquels la volonté de l’hypnotiseur n’a pas