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BEAUNIS. — l’expérimentation en psychologie

encore acquis toute son influence. Mais quand le sujet est arrivé à cet état dans lequel il est soumis absolument à la volonté de l’hypnotiseur, la résistance est pour lui aussi difficile à l’état de veille qu’à l’état de sommeil. Aussi je ne saurais être aussi affirmatif que le Dr Brémaud quand il dit : « Les phénomènes de suggestion à l’état de veille bien differents en cela des phénomènes analogues obtenus dans les états hypnotiques caractérisés, sont justiciables de la volonté et de la raison du sujet lui-même, et tout individu hypnotisable, homme ou femme, sur lequel la suggestion a prise à l’état de veille, y deviendra absolument rebelle dans ce même état de veille, dès qu’on aura pu lui démontrer, chose facile du reste, la part que son imagination prenait à l’accomplissement des faits ». (Société de biologie, p. 279.)

Tout dépend, à mon avis, de l’intensité de l’état somnambulique produit. J’ai montré plus haut que cet état de veille n’est pas comparable à la veille ordinaire ; c’est un véritable état somnambulique tout spécial et dans lequel l’innervation cérébrale est profondément modifiée. La plupart des sujets sur lesquels ont porté mes observations savent fort bien qu’il n’y a là rien de merveilleux ni de surnaturel ; ils sont mis en garde contre les tentatives de suggestion ; on a beau leur expliquer que les effets produits sont le résultat de leur imagination et que la cause réelle réside en eux-mêmes et non dans l’hypnotiseur, ils obéissent quand même à la suggestion.

C’est qu’en effet l’imagination seule du sujet ne suffit pas pour que la suggestion se réalise ; il faut encore que cette suggestion lui ait été faite dans un état mental particulier, sommeil provoqué ou veille somnambulique. C’est ce que démontrent bien les faits suivants. Mlle A… E… avait été endormie par M. Liébault dans la matinée. En sortant avec elle de chez M. Liébault je lui dis en causant de choses et d’autres : « À propos, vous savez que le Dr Liébault vous a suggéré pendant votre sommeil que vous dormiriez cinq minutes à trois heures de l’après-midi ». Le lendemain matin je m’informe auprès de son amie si elle a dormi la veille. Non seulement elle n’a pas dormi, mais elle a même dit à trois heures et demie : « C’est étonnant, je n’ai pas eu envie de dormir. » Elle avait cependant, d’après ce que je lui avais dit, l’idée qu’elle devait s’endormir à trois heures, mais cette idée seule n’avait pas suffi pour provoquer le sommeil parce qu’elle ne lui avait pas été suggérée. Si au lieu de lui dire : « M. Liébault vous a suggéré de dormir », ce qui n’était pas vrai, je lui avais dit simplement : « Vous dormirez cinq minutes à trois heures », elle se serait endormie infailliblement comme je l’ai constaté nombre de fois.