Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 20.djvu/136

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
132
revue philosophique

tracé des pulsations du cœur pris sur Élisa F… pendant le sommeil hypnotique. Sur ce tracé on voit d’une façon évidente que le rythme du cœur peut être modifié par suggestion simple pendant le sommeil provoqué. Le pouls, pris d’abord pendant la veille, donne comme moyenne 96 pulsations par minute[1] ; on endort le sujet, le nombre des pulsations est de 98 ; à ce moment on lui fait la suggestion de ralentir les battements du cœur ; le pouls tombe à 92 ; on laisse ensuite le pouls revenir à son état normal en cessant la suggestion ; il remonte à 101 ; on lui suggère alors d’accélérer les pulsations du cœur ; elles montent à 115 par minute. Le ralentissement et l’accélération suivaient immédiatement la suggestion et ne dépendaient ni d’une modification émotionnelle ni d’une altération du rythme respiratoire ; ils étaient évidemment subordonnés purement et simplement à la suggestion.

La seconde expérience concerne la circulation vaso-motrice. On peut chez un certain nombre de somnambules (Mmes M… H… A…, Mlle A. E…, par exemple) déterminer par suggestion la production d’une rougeur sur un point donné de la peau. Ainsi je dis à Mlle A… E… pendant le sommeil hypnotique : Après votre réveil, vous aurez une tache rouge qui se produira sur le point que je touche en ce moment ; — je touchais alors très légèrement avec le doigt un point de l’avant-bras bien reconnaissable à un signe quelconque. Dix minutes environ après le réveil une rougeur d’abord peu intense commençait à apparaître au point indiqué, puis augmentait peu à peu et après avoir persisté pendant dix minutes ou un quart d’heure, disparaissait graduellement ; la tache rouge était très apparente, à bords peu circonscrits se perdant dans la teinte générale de la peau. On peut du reste par suggestion la faire persister beaucoup plus longtemps. Toutes les précautions étaient prises naturellement pour que le sujet n’exerçât aucun frottement sur l’endroit désigné et il était toujours surveillé à ce point de vue.

Ces deux expériences me semblent démonstratives. Si on fait l’essai sur soi-même ou si on le fait faire par d’autres, on reconnaît facilement qu’on peut, par l’attention soutenue et la concentration de l’esprit sur une seule idée, déterminer des sensations qui chez certains individus peuvent aller jusqu’à l’hallucination. Mais pour les deux phénomènes dont je viens de parler, je ne crois pas qu’il en soit ainsi. On ne peut, par la simple volonté, modifier le

  1. L’horloge électrique qui inscrivait les secondes n’étant pas réglée exactement, chaque division ne correspondait pas tout à fait à une seconde, mais cela n’a aucune importance au point de vue qui nous occupe ici.