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est cependant intéressant de rechercher si dans la vie normale et dans la vie pathologique on ne trouverait pas des états analogues. Or, il me semble qu’on en retrouve certains traits dans le choc des chirurgiens, c’est-à-dire dans cet état de commotion qui suit les blessures graves et les grandes opérations ; de même dans cette forme si curieuse d’aliénation mentale désignée par les auteurs sous le nom si mal choisi de stupidité ; enfin n’y a-t-il pas aussi quelque chose qui s’en rapproche dans ce qu’on appelle communément des absences, et dans les distractions puissantes d’un Archimède ou d’un Ampère.

Le trait caractéristique de ces divers états, c’est la suspension momentanée plus ou moins complète de l’activité nerveuse et spécialement de l’activité cérébrale. Cette suspension peut porter sur des régions plus ou moins étendues du système nerveux et présenter tous les degrés, depuis le collapsus des grandes opérations dans lequel tout est atteint, même le système nerveux de la vie organique, jusqu’aux degrés les plus légers, tels qu’on les observe dans l’absence ou dans la simple distraction.

En résumé, le fait primordial, essentiel, c’est une action d’arrêt se produisant, soit graduellement comme dans le sommeil hypnotique, soit brusquement comme dans la veille somnambulique, action d’arrêt qui amène un état cérébral particulier dont là nature reste à déterminer, mais dont la caractéristique est l’aptitude à recevoir les suggestions.

Il serait peut-être possible d’aller plus loin dans l’interprétation des phénomènes, mais il faudrait pour cela me livrer à des considérations purement physiologiques et aborder la théorie générale de l’innervation, ce qui n’est pas le but de ce travail. J’ai voulu simplement indiquer par quelques exemples de quelle utilité peut être pour la connaissance des fonctions intellectuelles l’étude du somnambulisme provoqué et surtout montrer que l’hypnotisme fournit aux philosophes, ce qui leur manquait jusqu’ici, un procédé d’analyse des phénomènes de conscience, et une véritable méthode de psychologie expérimentale.

H. Beaunis,
Professeur à la Faculté de médecine de Nancy.