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BEAUNIS. — l’expérimentation en psychologie

Le fait caractéristique, et qui a été constaté par presque tous ceux qui se sont occupés de cette question, c’est que la personne hypnotisée, une fois réveillée, ne se rappelle rien de ce qui s’est passé pendant le sommeil hypnotique, tandis qu’une fois endormie de nouveau, elle se souvient parfaitement de tous les faits et gestes de ses sommeils antérieurs. Tous les sujets que j’ai observés se trouvaient dans ces conditions, comme je l’ai indiqué plus haut, pourvu que le sommeil fût assez profond[1].

Il semble donc qu’il y ait une sorte de dédoublement de la mémoire et de la conscience ; il y aurait d’une part la vie ordinaire, normale, avec ses veilles et ses sommeils naturels, et la vie somnambulique composée uniquement de la série des sommeils hypnotiques provoqués. Il faut remarquer cependant qu’il n’y a pas séparation absolue entre ces deux vies, car le sujet hypnotisé se rappelle non seulement ce qui s’est passé pendant le sommeil hypnotique, mais encore tout ce qui s’est passé pendant l’état de veille et pendant le sommeil naturel, ses rêves, par exemple. On verra même que le souvenir des faits qui se sont produits à l’état de veille pendant l’existence ordinaire est plus exact et plus précis pendant le sommeil provoqué.

Cet oubli au réveil des faits qui se sont accomplis pendant le sommeil hypnotique se retrouve aussi, du reste, la plupart du temps dans le somnambulisme naturel, avec lequel le somnambulisme artificiel a tant de points de contact ; mais cet oubli n’est pas absolu. Il suffit de le suggérer au sujet pendant son sommeil pour qu’il se souvienne au réveil de tout ce qu’il a entendu, fait et dit pendant son sommeil ; mais il faut absolument que la suggestion lui en ait été faite. Par lui-même et malgré tous ses efforts, il serait incapable de réveiller ces souvenirs ; il faut que ce soit une main étrangère qui mette en mouvement tout ce mécanisme mémoriel.

  1. Je trouve cependant dans Braid une assertion contraire. À la page 46 de sa Neurypnologie (trad. française de Jules Simon), on lit les lignes suivantes : « On a dit que quoique les somnambules naturels ne puissent se rappeler, une fois réveillés, rien de ce qu’ils ont fait pendant leur sommeil, ils en ont un souvenir vivace lorsqu’ils dorment de nouveau, je n’ai rien trouvé de semblable dans le somnambulisme provoqué par l’hypnotisation ». Il est vrai que, dans le Chapitre additionnel, écrit en 1860, je vois le passage suivant qui concorde avec ce que j’ai observé : « On donnera le nom d’hypnotisme à la production du sommeil artificiel quand il y a perte de la mémoire, de façon qu’au réveil, le patient n’ait aucun souvenir de ce qui s’est passé pendant le sommeil, mais qu’il se souvienne cependant, lorsqu’il est de nouveau plongé dans le même degré de l’hypnotisme » (p. 245). On saisit de suite la contradiction entre les deux passages. Cela tient-il à une erreur du traducteur, ou Braid a-t-il simplement modifié son opinion en étudiant de plus près les phénomènes ? Quoi qu’il en soit, ce qui est certain, c’est que la deuxième opinion répond seule à la réalité des faits et doit seule être adoptée.