Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 20.djvu/151

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
147
LECHALAS. — comparaisons entre la peinture et la musique

en l’absence d’une perception esthétique bien caractérisée, nous croyons qu’on fera bien de se borner à des rapprochements généraux entre la couleur et le timbre.

Il nous reste encore à discuter, à propos de la couleur, quelques questions secondaires : nous avons vu que l’on a mainte fois comparé la mélodie au dessin et la couleur à l’harmonie. Le premier membre de cette comparaison nous a paru parfaitement exact. Ce seul fait suffit à expliquer le second membre, car, la musique se composant de mélodie et d’harmonie comme la peinture se compose de dessin et de couleur, il est clair que, si la mélodie répond au dessin, les règles de la rhétorique exigent qu’on rapproche l’harmonie de la couleur. Mais cette raison, suffisante pour expliquer cette dernière comparaison, est impuissante à la justifier : on peut invoquer mieux en sa faveur.

Réduite à la mélodie, la musique ne pourrait offrir que des oppositions de timbres très restreintes, puisque les timbres divers ne pourraient que s’y succéder. Grâce à la superposition des sons, c’est-à-dire à l’harmonie, on peut faire entendre à la fois une foule de timbres et, par suite, multiplier les effets de coloris musical, si le timbre répond à la couleur. Dans ce sens, mais dans ce sens seulement, on peut esthétiquement rapprocher l’harmonie et la couleur.

Enfin, on nous permettra de discuter une affirmation de M. Sully Prudhomme, relative aux timbres et aux couleurs, puisque, l’ayant pris pour guide, nous devons signaler tous les désaccords entre sa manière de voir et la nôtre. Après avoir constaté que l’audition simultanée de plusieurs timbres n’est jamais désagréable à l’oreille, si isolément les timbres ne le sont pas et si les notes s’accordent, il ajoute que le mélange de deux couleurs peut être désagréable. Nous ne saurions admettre cette dernière proposition : le mélange de deux couleurs, en effet, ne peut que produire une autre couleur du spectre plus ou moins étendue de blanc. Si donc aucune couleur du spectre, saturée ou non, n’est désagréable (et nous ne croyons pas qu’on puisse le contester), la proposition de M. Sully Prudhomme est inadmissible a priori. Si l’on objecte qu’on ne peut écarter ainsi un fait d’observation, nous répondrons que, si une couleur ne peut être désagréable par elle-même, elle peut se trouver associée par l’expérience à d’autres sensations qui le soient et qui, rappelées invinciblement par ladite couleur, lui communiquent leur propre caractère : chacun en trouvera aisément des exemples.

III. — Valeur. « La couleur, dit Topffer dans ses Réflexions et menus propos d’un peintre genevois, a, dans les objets, une valeur indépendante de sa teinte comme couleur ; c’est cette valeur qui, bien repro-