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CH. SECRÉTAN. — évolution et liberté

expérience restera toujours fragmentaire ; tandis que les thèses de la philosophie affectent nécessairement une portée universelle ; c’est pourquoi, bien qu’une expérience contraire infirme une thèse philosophique, nulle philosophie ne saurait se justifier véritablement par la seule expérience. La seule prétention d’y réussir, flatteuse il ne vrai pour l’illusion d’un grand nombre, accuse un vice de jugement. Et cette absence de réflexion jette d’avance un mauvais jour sur la doctrine qui en est convaincue.

Quant à la méthode, tous les phénomènes que la spéculation évolutioniste veut expliquer étant donnés exclusivement dans la conscience, elle commence par sortir de la conscience. — Elle prend arbitrairement pour point de départ un état de choses combiné de manière à donner les résultats qu’elle veut atteindre. Comme le professeur Cauchy le faisait observer en son temps au marquis de Laplace, on se passe aisément de Dieu lorsqu’on part de sa besogne achevée. Et ce commencement que l’évolutionisme a choisi n’est pas seulement arbitraire, il est positivement vicieux, car pour vraisemblable que l’induction puisse rendre l’existence en un temps quelconque de l’état de choses dont il lui convient de partir, cet état de choses, la nébuleuse, ne s’explique pas de lui-même et n’offre pas les caractères logiques d’un commencement dont il soit possible de se contenter. Contradiction qui devrait choquer un esprit réfléchi, l’évolutionisme prétend justifier la nécessité universelle et débute par le contingent. La métaphysique, dont il est reçu de parler comme d’une fantaisie, n’en use pas si lestement ; elle est plus scrupuleuse. Elle part de chez elle, je veux dire de la raison, qui est donnée à elle-même, et pose en principe ce qui est véritablement principe pour la raison ; elle affirme suivant ses lumières ce qui ne peut pas ne pas être, et si, d’aventure, ce qui ne peut pas ne pas être, si le commencement naturel, le principe en soi se trouvait la liberté, elle arriverait au contingent en partant du nécessaire. Spécieuse ou non, sa méthode pour fixer le point de départ est une méthode ; celle de l’évolution empirique est le bon plaisir. Enfin l’évolutionisme empirique s’insurge contre l’intelligence et se détruit lui-même en niant la finalité. Il se propose de prouver qu’il est lui-même une phase d’une évolution qui ne se propose rien ; il reconnaît avoir pour fin d’établir qu’il n’y a point de fin. Au cours de son exposition génétique l’évolutionisme trouve des arrêts qu’il est incapable de franchir. Sorti de la conscience, il ne la retrouve plus. Il est incapable de passer du mouvement à la sensation, qui devrait, d’après ses principes être une forme de mouvement, tandis que suivant ses propres dires elle est un phénomène distinct, une con-