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À mes yeux donc la substance du monde est une pure force, c’est-à-dire un principe séparé de Dieu par Dieu lui-même dans un dessein digne de Dieu, dans le dessein de donner l’être au monde moral. Un principe divin, c’est-à-dire un principe libre ; mais séparé de Dieu, c’est-à-dire une liberté qui s’ignore, qui ne se possède pas, qui n’existe pas encore. L’univers physique est pour moi l’effet, la manifestation et l’organe de l’esprit créé qui cherche à se comprendre, à se ressaisir lui-même pour s’unir librement à l’esprit incréé. Au début, l’esprit sorti de l’esprit s’ignore lui-même, c’est un minimum d’être, c’est-à-dire de pensée et de volonté. C’est l’esprit en puissance, l’opposé donc de l’esprit existant comme esprit. Ainsi tout se passe, je le veux bien, sous l’empire du mécanisme, que nous croyons comprendre parce que nous pouvons le calculer, mais que nous ne comprenons pas mieux que le reste, et qui vu du dedans ne serait peut-être au fond qu’une première forme de l’instinct ; car enfin si la physique se contente de tout expliquer par un mouvement communiqué, la philosophie voudra savoir d’où vient le mouvement et ne pourra trouver une cause du mouvement que dans l’être lui-même.

Le Dieu parfait mis au commencement, nous nous expliquons la présence d’une raison imparfaite dans la nature en supposant que le but divinement arrêté de l’évolution naturelle est la réalisation de l’ordre moral par une créature libre, et que la créature étant appelée à produire elle-même les conditions et le théâtre de son existence pour se constituer vis-à-vis de Dieu dans l’indépendance relative qu’implique un rapport moral, bâtit le monde sous l’œil de Dieu, pour l’exécution des desseins de Dieu. En d’autres termes, le monde est l’évolution d’un principe constitué par la volonté de Dieu, qui l’appelle à se réaliser comme être moral pour entrer en communion avec lui. Dieu voulant la liberté de l’homme comme indispensable condition du bien moral, où réside le bien suprême, a voulu que l’homme se produisit, lui-même et le théâtre de son activité en partant d’un commencement qu’il est naturellement impossible de se représenter et de concevoir, puisqu’il serait virtualité pure, minimum d’être, négation de toute forme et de toute pensée. Telle est, ce me semble, l’idée la moins fautive de la création. La création est un appel, l’évolution est la réponse, bonne ou mauvaise.

Pour nous résumer, indépendemment des raisons très considérables, quoique d’inégale valeur, produites par les naturalistes les plus réputés en faveur de l’opinion que les espèces organiques se développent les unes des autres suivant une loi, nous accueillons cette hypothèse comme plausible, d’abord parce qu’elle est la plus simple, et la seule que nous puissions réaliser dans l’imagination ;