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abus, c’est au moraliste à distinguer ce que confond la conscience publique, à mettre à part les éléments qui, isolés, conserveraient l’intégrité parfaite de la responsabilité, mais qui, confondus, entraîneraient dans leur dissolution la moralité même.

II. Au premier abord, la responsabilité subjective paraît renfermer trois éléments essentiels : 1o la liberté de l’agent ; 2o le mérite ou le démérite ; 3o la sanction ou rémunération des actes (p. 76).

Notre époque n’est pas favorable à l’idée de sanction ; après M. Guyau, qui prétend s’en passer, M. Lévy se livre contre elle à une analyse destructive, et cela pour diverses raisons dont la meilleure est l’impossibilité d’attribuer une œuvre de justice à ce qui, par essence, ne saurait participer à la justice. Car la récompense et le châtiment peuvent-ils prendre d’autres formes que celles du plaisir ou de la douleur ? et si l’acte, le fait brutal est en soi moralement indifférent, par quelle absurde confusion de l’absolu et du relatif pourrait-il devenir un instrument de purification et de redressement ? Là où on ne peut comprendre la communication au phénomène des caractères de la moralité, comment admettra-t-on jamais qu’il puisse être de lui-même une source pure de moralité et de justice ? L’indifférence du phénomène le met donc hors du domaine de la pure moralité, qu’il s’agisse pour lui soit d’en revêtir la forme, soit d’en sanctionner le respect ou la violation (p. 80).

Sans cette raison profonde et à la rigueur irréfutable dans l’hypothèse d’une loi strictement formelle, nous trouverions beaucoup moins de force au principe d’après lequel « une sanction est nécessairement de même nature que la loi dont elle assure l’exécution ou punit la violation » (p. 78) ; pourvu en effet qu’une sanction assure l’exécution de la loi, peu importe, semble-t-il, qu’elle soit ou non de la même nature ; et en réalité ce n’est que par un artifice de langage et en choisissent des mots appropriés qu’on peut trouver une analogie entre la sanction de l’emprisonnement ou de l’amende, et le délit du vol ou de la diffamation : car, peut-on sérieusement soutenir que c’est, pour la sanction et la loi positives, être de même nature, que d’être toutes les deux conventionnelles (p. 79) ? Ce qui est soutenable, c’est que rien d’incompatible avec la moralité n’en puisse être un principe ou un instrument, et sous ce rapport nous admettons qu’on soit disposé, comme M. Guyau ou M. Lévy, à contester la possibilité d’une sanction quelconque de la loi morale.

Ainsi, que la loi physique trouve une sanction dans les conséquences bonnes ou mauvaises qu’elle comporte, suivant qu’on en fait un bon ou un mauvais emploi, la loi physiologique dans la santé ou la maladie, qui sont au fond de même nature, la loi positive dans les récompenses ou les châtiments qu’elle édicte, rien de plus simple et de plus intelligible : le phénomène antécédent déroule ses conséquences dans le temps et dans l’espace, c’est la loi régulière du monde de l’expérience. Mais que la loi morale se matérialise pour ainsi dire et revête les formes grossières de la nécessité et de l’intérêt en empruntant à ce monde inférieur une garantie et une sanction, c’est troubler les notions