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ANALYSES.lévy-bruhl. L’Idée de responsabilité.

morales les plus pures que de l’admettre, c’est transporter les conditions de l’égoïsme dans le domaine du désintéressement absolu, c’est, comme la nettement remarqué Kant lui-même, substituer à la liberté, essence de la moralité, un « mécanisme moral » (p. 93). Telle est la raison la plus solide que puisse invoquer l’auteur, et qu’il invoqué en effet, en y ajoutant les plus délicats aperçus, contre les sanctions du remords et de l’immortalité.

Si telle est l’opinion de M. Lévy au sujet de la rémunération, il est facile de prévoir ce qu’il pense du mérite et du démérite : il est vrai que ces mots, suivant la très juste remarque de M. Janet, ont deux sens bien différents : pour la « conscience non réfléchie » du vulgaire, « moralement responsable signifie justement punissable ou digne d’une juste récompense » ; en ce sens, le mérite et son contraire ne sont qu’une sorte de droit à la rémunération, aux conséquences, heureuses ou malheureuses, qui constitueraient la sanction elle-même (p. 104).

Mais le mérite est aussi, en un sens plus élevé, « un accroissement volontaire de la perfection de notre être », le démérite, « une diminution volontaire de cette même perfection ». — « La responsabilité morale, par suite, suppose l’attribution à la personne morale de ses propres résolutions, » ou la liberté. Nous voici donc arrivés, par l’analyse de la notion du mérite, au principe profond de la responsabilité ; et il semble que, par les raisons mêmes qui nous ont obligés à rejeter loin d’elle, comme menaçant de la corrompre, la sanction et le mérite tels que les comprend le vulgaire, nous soyons à présent tenus de reconnaître l’authenticité et la pureté du nouveau caractère auquel nous a conduits l’analyse ; et que resterait-il, en effet, de la responsabilité morale, s’il n’en restait au moins l’élément par lequel nous nous possédons nous-mêmes et sommes les artisans de notre perfection, de notre destinée et comme de notre être véritable ? (p. 105).

Gardons-nous pourtant de nous réjouir ! Si, en effet, M. Lévy ne refuse pas à la liberté les caractères que j’appellerai anti-empiriques, absolus, qui appartiennent dans sa doctrine aux principes de la pure moralité, voici qu’à présent, frappé de difficultés toutes nouvelles, il attaque la liberté et, par suite, la responsabilité, au nom du déterminisme des phénomènes, avec autant de subtilité qu’il en mettait tout à l’heure à repousser de la conscience morale toute ingérence du déterminisme, au nom des caractères absolus de la moralité. Que, de ce point de vue, en songeant à la causalité empirique qui relie entre eux tous les phénomènes, il déclare inconcevable entre ceux-ci une solution de continuité, si rare et si infime qu’on veuille la demander, qu’il déclare impossibles les exceptions à la solidarité universelle, admises en faveur du libre arbitre, que, dans ces conditions, la liberté se retire devant l’imperturbable succession des faits, et que la personnalité humaine vienne sombrer dans les mystères de l’hérédité et de la prédétermination, il n’y a là rien à quoi l’on ne doive s’attendre (pp. 108 à 117).

Mais alors que reste-t-il de la responsabilité morale ? Des trois