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avec g, et désigne la vitesse créée pendant chaque seconde. Comme g, j représente une vitesse s’ajoutant à une autre, donc une accélération. Donc la force est le produit de la masse par l’accélération. Que l’on admette la définition de M. Jouffret, et qui est, si je ne me trompe, la définition en usage, et l’on ne s’étonnera plus qu’il destitue la force de toute existence réelle. La force n’est rien de plus qu’une grandeur mathématique.

L’énergie se mesure, elle aussi, car le terme énergie est synonyme du terme force vive et que l’on représente par la valeur 1/2 mv2. Pourquoi donc l’énergie aurait-elle un sort différent ? pourquoi serait-elle quelque chose de plus qu’un simple taux ?

M. Jouffret ne le dit pas. La définition de l’énergie, celle de la matière ne se trouvent nulle part dans son livre. Aussi bien il ne se préoccupe que de définitions mathématiques et ne considère les concepts que sous leur aspect quantitatif. En cela il observe avec la plus étroite conscience les devoirs que lui a imposé sa méthode. Sa conscience de logicien lui interdit les digressions métaphysiques. S’il s’en permet une, rien qu’une, c’est parce que, malgré lui, les objections des idéalistes l’obsèdent et qu’il ne les peut accepter. Encore qu’il ne sache dire ce que sont en soi l’énergie et la matière. M. Jouffret maintient leur existence. Il lui répugne de croire que cette puissance, qui produit de si terribles effets, ne soit rien. Ce quelque chose que la force du projectile détruit existait avant sa destruction, et il n’a pu être détruit par rien. Tel est sans doute le raisonnement de l’auteur ; c’est celui de tout le monde. Les idéalistes se le sont entendu faire et sont restés incorrigibles. Il y a plus, l’idéalisme métaphysique n’a rien à craindre de la science, ni des savants. Au contraire, il leur doit beaucoup et, sans eux, il ne serait peut-être pas. Notre éminent maître, M. Lachelier, ne disait pas autre chose quand il énonçait cette formule : « l’idéalisme est le remède du scepticisme ».

Donc « la digression philosophique » de M. Jouffret n’était nullement nécessaire. J’ajouterai même que ce chapitre est l’un des moins bons, et, à coup sûr, des moins philosophiques de son livre. Nous hésitons d’autant moins à le reconnaître que, si les limites de ce compte rendu le permettaient, nous aurions d’autres aperçus métaphysiques à dégager de cette belle étude ; le lecteur les trouvera aisément. Il nous reste maintenant à remercier l’auteur du service qu’il a rendu à la philosophie naturelle.

Si Newton revenait en ce monde, il s’apercevrait que ses recommandations sont vaines et que la physique ne peut plus se garder de la métaphysique. Bon gré mal gré, ces deux adversaires soi disant irréconciliables auront bientôt pris l’habitude de vivre sous le même toit. Les philosophes constatent avec plaisir ce rapprochement inévitable, et le moment est passé de redemander le divorce. À l’heure actuelle, aucun avocat ne se rencontrerait parmi les philosophes pour plaider même en séparation. Du côté des savants, cette union forcée n’a pas encore conquis tous les suffrages, Les savants n’aiment point qu’on aille chez eux et qu’on ose faire produire à leurs découvertes des fruits dont l’évolution s’est faite à leur insu. Les physiciens et les chimistes voient d’un mauvais œil les