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BEAUNIS. — l’expérimentation en psychologie

un livre déterminé à la page 25 ; l’idée d’ouvrir le livre à cette page existe dans son esprit ; elle y existe tellement puissante qu’à l’heure dite il ne pourra pas faire autrement que de l’ouvrir ; et cependant cette idée ne peut lui revenir avant l’époque fixée ; il a beau savoir qu’une suggestion lui a été faite en le prévenant d’avance ; on peut lui mettre devant les yeux le livre en question ouvert à la page 25 ; l’idée reste dans le cerveau sans se développer, inerte, jusqu’au moment déterminé d’avance ; mais alors elle surgit instantanément dans l’esprit et fatalement se réalise en acte. On dirait un mécanisme disposé pour produire à heure fixe un mouvement comme un mécanisme d’horlogerie. Il y a là un caractère essentiel, distinctif. La suggestion faite ne se réalise qu’à l’heure dite et ne peut se réaliser avant, même quand les associations qui devraient la réveiller avant ont lieu. On ne trouve aucun fait analogue dans l’état ordinaire. Ces faits sont évidemment bien embarrassants, et il est bien difficile d’en donner une interprétation satisfaisante.

Mais ces faits ne sont pas les seuls. Tous les observateurs qui se sont occupés de cette question ont constaté avec quelle précision se fait, chez les somnambules, l’appréciation du temps. Vous dites à un sujet : Vous dormirez cinq minutes, dix minutes, une demi-heure, et le sommeil dure exactement le temps prescrit. Dans les suggestions à longue échéance, cette appréciation du temps est encore plus remarquable. Je transcrirai à ce propos un passage de Paul Janet dans la Revue politique et littéraire.

« Ce qui m’étonne dans ces faits, ce n’est pas de voir imprégnée et persistant dans le souvenir une image dont on n’a pas conscience ; les faits de mémoire inconsciente et automatique sont aujourd’hui trop nombreux et trop constatés pour être l’objet d’un doute. J’admets, en outre, que ces souvenirs ignorés, comme les appelle M. Ch. Richet, puissent se réveiller à une époque quelconque, suivant telle ou telle circonstance. Je comprendrais encore le retour, même à une époque fixe, de ces images et des actes qui en sont la suite, si l’opérateur les associait à l’apparition d’une sensation vive ; par exemple : « Le jour où vous verrez M. un tel, vous l’embrasserez », la vue de M. un tel devant servir de stimulant au réveil de l’idée. Mais ce que je ne comprends absolument pas, c’est le réveil à jour fixe, sans autre point de rattache que la numération du temps, par exemple dans treize jours. Treize jours ne représentent pas une sensation, c’est une abstraction. Pour rendre compte de ces faits, il faut supposer une faculté inconsciente de mesurer le temps. Or, c’est là une faculté inconnue. Ici la filière des analogies est complètement rompue. Tout s’expliquait jusque-là par