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les lois de l’association des idées, des images et des mouvements ; mais nous faisons ici un saut brusque. Aucune association ne peut ici expliquer le fait de compter treize jours sans le savoir. Nous sommes sur la pente des facultés mystérieuses du magnétisme animal. La théorie suggestive proprement dite est ici en défaut » (p. 204).

J’aurais plusieurs remarques à faire à propos de ce passage. La première et la plus générale, c’est que l’impossibilité de comprendre ou d’expliquer un fait ne prouve rien contre la réalité de ce fait. Que de phénomènes de tout ordre en sont encore à attendre leur explication. Or, le phénomène sur lequel M. Paul Janet fait des réserves qui équivalent presque à une négation, appartient aux faits les mieux démontrés et les plus connus de l’hypnotisme, faits qu’on peut reproduire avec la plus grande facilité. Une remarque plus importante est la suivante. Treize jours, dit M. Paul Janet, ne représentent pas une sensation ; c’est une abstraction. Cette opinion ne me semble pas pouvoir être admise. Un jour n’est pas une abstraction, tant s’en faut. Cette idée représente une série d’impressions déterminées, produites par les agents extérieurs (lumière, température, état hygrométrique, etc.) sur notre organisme et qui amènent dans cet organisme des réactions de divers ordres. Un jour est donc, en réalité, non pas une sensation, mais une succession de sensations et de réactions inconscientes. À la périodicité des jours, des semaines, des mois, des saisons, correspondent des variations organiques périodiques, qui, dans certaines conditions, peuvent acquérir assez d’intensité pour constituer une sorte de « faculté inconsciente de mesurer le temps », quoique le mot faculté soit un peu trop philosophique pour caractériser une aptitude organique de cette nature. Quoique cette question ait été jusqu’ici fort peu étudiée par les physiologistes, l’observation des faits suffit. Les animaux ne connaissent-ils pas exactement l’heure à laquelle on leur donne habituellement leur nourriture et, s’il y a un retard, ne montrent-ils pas, par leur impatience et leur agitation, qu’ils en ont parfaitement conscience ? Chez l’homme civilisé, dans la vie artificielle et compliquée que nous nous sommes créée, cette aptitude n’est plus apparente, mais n’en est-il pas de même de beaucoup d’autres ? Quel rôle inférieur jouent, par exemple chez nous, les sensations olfactives, et cependant les sauvages, les Indiens du Pérou par exemple, reconnaissent dans la nuit par l’odorat, la présence d’un étranger à une distance considérable. Du reste, chez l’homme civilisé lui-même, cette faculté inconsciente de mesurer le temps existe encore à l’état latent et peut reparaître dans certains cas ; tel est le réveil volontaire à heure fixe qui, malgré les doutes de l’auteur, est un fait bien constaté et qu’il