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Leibniz, que l’âme et le corps ne sont que deux aspects différents d’une seule et unique réalité : l’une, forme supérieure, l’autre, forme inférieure de la conscience, unies de telle sorte que tout ce qui se passe dans la première a son écho, ou plutôt son point d’appui dans la seconde !

2o Voici une autre difficulté. Ces monades agissent, nous dit-on ; l’action est leur essence même. Mais qui dit action dit effort, puisque, de l’aveu de tous les réalistes, c’est seulement dans l’effort musculaire que nous prenons conscience de nous-mêmes comme puissance active, et que nous ne pouvons avoir de l’action aucune idée en dehors de celle-là. D’un autre côté, l’effort suppose la volonté ou tout au moins le désir : l’effort purement spontané et en quelque sorte mécanique ne se conçoit même pas ; c’est un non-sens. Mais une volition, un désir, comportent une connaissance plus ou moins distincte de leur objet. De plus il faut que cet objet apparaisse comme un bien à l’être sensible qui s’y porte. Ainsi ce n’est pas seulement la sensation que les réalistes sont contraints de placer dans le principe dynamique de la résistance, c’est encore le désir et l’intelligence. Non seulement tout est animé, non seulement tout est sensible, il faut encore que tout ait de la connaissance, et, peu s’en faut, de la raison.

3o Passons de ce point de vue tout interne à celui de l’explication des phénomènes physiques, et considérons un corps développant où transmettant une force, par exemple l’arbre de couche qui, dans un navire à vapeur, communique le mouvement à l’hélice. Ce cylindre de fer massif a une action propre et bien déterminée : c’est une unité, non pas métaphysique, mais mécanique. Or cette unité mécanique, il faut en rendre compte. Que ce qui nous apparaît comme le résultat d’une force unique soit produit en réalité par un consensus d’énergies élémentaires, il n’y a rien là qui paraisse inacceptable au premier abord. Mais comment faudra-t-il concevoir ce consensus ? Sans doute nous imaginons très bien, et même nous constatons souvent que deux forces élémentaires peuvent se composer et donner lieu à une résultante ; mais c’est à la condition d’agir sur un point d’application qui leur soit commun à toutes deux, et qui diffère de chacune d’elles. La force du vent, celle du courant, et celle du gouvernail peuvent se composer d’une façon que le timonnier utilise ; nais c’est que toutes trois agissent sur une masse qui par elle-même est inerte, le navire. Où donc, dans l’arbre de couche que nous prenions tout à l’heure pour exemple, sera le point d’application des diverses forces élémentaires qui constituent sa puissance mécanique totale ? Les partisans du monadisme, entendu au sens réaliste, ne voient-ils