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DUNAN. — les théories métaphysiques

pas qu’il y a là pour eux une difficulté insoluble ? C’est aujourd’hui un lieu commun de philosophie classique, que la théorie cartésienne d’une matière passive et réduite à l’étendue est métaphysiquement insuffisante et fausse, que le mécanisme n’est que la surface des choses, et qu’il est impossible de le considérer comme l’expression adéquate de leur nature absolue : en quoi l’on a raison sans doute. Mais en quoi l’on a tort, c’est lorsque l’on se jette à corps perdu dans un dynamisme absolu qui n’offre peut-être pas moins de difficultés et de contradictions que le mécanisme même. De ce que l’étendue n’est pas le dernier mot de la réalité absolue, on conclut immédiatement que ce dernier mot c’est la force, et l’on ne se demande pas si l’étendue et la force ne seraient pas simplement, non des choses en soi, mais des données de la représentation, comme la couleur et la température.

Les difficultés que nous venons de soulever contre la théorie qui compose les corps de monades agglomérées ne sont pas les seules qu’on puisse signaler. Pour en revenir à notre exemple de l’arbre de couche, nous demanderions pourquoi les monades qui le composent ou qui le meuvent, comme on voudra, n’agissent pas toujours ; d’où viennent les variations de l’intensité avec laquelle elles agissent ; quel est le principe de leur docilité merveilleuse à l’égard du mécanicien, etc. Mais je me lasse de suivre à travers les incohérences qu’elle contient et les impossibilités qu’elle comporte, cette conception chimérique de monades agglomérées composant les corps. Laissons de côté les monades, et revenons à l’argument réaliste tiré de la sensation de résistance, sans nous occuper plus longtemps de la façon dont on entend le principe de cette résistance.

III

Ce qui constitue le fond de la théorie réaliste de la résistance, c’est que les corps agissent d’une manière effective les uns sur les autres. Or, si on l’envisage à ce nouveau point de vue, le réalisme paraît encore ne pas pouvoir échapper à la condamnation.

Il y a bien des siècles que le problème de la causalité transitive a été posé d’abord par Pyrrhon, puis par Ænésidème[1]. Les Cartésiens, et Leibniz avec eux, l’ont repris au xviie siècle, et la conclusion à laquelle ils ont abouti a été justement celle des grands sceptiques de la Grèce, à savoir que l’action effective des corps les uns sur les autres est inintelligible et impossible. Enfin, de nos jours,

  1. Voir Ravaisson. Métaphysique d’Aristote, tome II.