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DUNAN. — les théories métaphysiques

et ainsi de suite. Tous ces phénomènes doivent donc se produire simultanément. Ce n’est pas tout : ils doivent encore se produire instantanément. Soient en effet C′, C′′, C′′′, les différentes phases du phénomène C. Il n’y a que deux façons possibles d’expliquer comment C peut devenir successivement C′, C′′, C′′′ : la première consiste à admettre que C engendre C′, qui lui-même engendre C′′, etc. ; et c’est bien comme cela en effet que l’on comprend la succession des phases d’un même phénomène : par exemple, il paraît tout simple et très naturel de considérer le mouvement du boulet à un instant donné de sa course comme ayant sa cause dans le mouvement qui a eu lieu à l’instant précédent. Mais, la chose ainsi entendue, C devrait être simultané avec C′, celui-ci avec C′′, et ainsi de suite, c’est-à-dire que le phénomène C devrait se produire instantanément. Ou bien, au contraire, on admettra que C′ a sa cause dans B′, et que B′ a la sienne dans A′, de la même manière que, par hypothèse, A est cause de B, qui lui-même est cause de C. Mais, dans ce cas, on est contraint de faire appel à une cause unique et transcendante produisant successivement les séries simultanées A, B, C… A′, B′, C′,… etc., ce qui est justement une manière de nier l’action des phénomènes les uns sur les autres, action que l’on prétendait expliquer.

Dès lors plus de mouvement, plus de succession dans le temps, plus qu’un phénomène unique et rigoureusement instantané : voilà la conséquence logique et inévitable de l’hypothèse dont on est parti. Pour revenir à la réalité, il est indispensable de reconnaître que c’est l’esprit seul qui peut conditionner les phénomènes sous la loi du temps, et de renoncer à cette opinion du sens commun qu’ils se produisent les uns les autres ; de renoncer aussi, par conséquent, à cette autre opinion des réalistes que les corps sont effectivement doués de résistance, et que, grâce à cette propriété, ils peuvent exercer les uns sur les autres une action réelle.

IV

Il est enfin une dernière objection à la théorie réaliste fondée sur le phénomène de la résistance, et celle-ci semble plus grave, plus décisive encore que toutes celles qui précèdent. C’est une règle absolue que toutes les fois qu’on veut attribuer à la chose en soi ce qui n’a de réalité que dans la représentation, la thèse ainsi posée contient des contradictions multiples. Or ce que font les réalistes, c’est justement d’ériger en attribut de la chose en soi ce qui n’est qu’une donnée subjective de la sensation, à savoir la résistance. La