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contradiction devient donc pour eux un écueil inévitable, et voici deux points sur lesquels on peut les prendre en défaut à cet égard.

1o La résistance qu’oppose un corps est toujours égale à la pression qu’il supporte : cela est connu et admis de tout le monde. Mais cette pression peut augmenter indéfiniment, c’est-à-dire que la résistance qu’oppose un corps peut elle-même augmenter indéfiniment, et que, par conséquent, tout corps possède un pouvoir de résister qui est plus grand que toute pression donnée, ou, en d’autres termes, qui est réellement et actuellement infini. C’est même en cela que consiste son impénétrabilité, et il est impossible de donner de l’impénétralité une autre définition que celle-là. Or la résistance est une quantité au même titre que l’extension ou l’espace parcouru ; elle doit donc pouvoir, comme toute quantité, s’exprimer par un nombre, à la condition qu’on ait fait choix d’une unité ; mais le nombre qui l’exprimerait pour un corps quelconque serait nécessairement infini, et c’est là que gît la contradiction inhérente au concept.

Essaiera-t-on de nier que, dans la théorie que nous combattons, le pouvoir de résister que possédent les corps doive être actuellement infini, et d’alléguer qu’un corps, lorsqu’il est soumis à une pression trop forte, se désagrège et ne résiste plus ? Mais supposez-le désagrégé et réduit en poussière ; je puis à mon tour supposer que la pression s’exerce sur lui d’une façon telle que ses molécules disjointes ne puissent pas s’échapper, et continuent à former une masse qui sera contrainte de résister encore. De plus je puis supposer la pression s’exerçant sur un atome isolé : il faudra bien que cet atome résiste indéfiniment, sous peine de se disjoindre, et de n’être plus un atome, auquel cas les corps seraient non seulement divisibles, mais actuellement divisés à l’infini, autre contradiction, autre absurdité.

2o Passons au point de vue opposé, et admettons pour un instant que la faculté de résistance que doit posséder un corps soit finie, et non plus infinie : les réalistes n’auront pas cause gagnée pour cela. Nous demanderons seulement si cette faculté de résistance est disséminée dans toute la masse du corps, et répartie entre les éléments qui le constituent, ou bien si elle appartient tout entière à chacun de ses éléments pris individuellement, de sorte que chacun des éléments en question résisterait à lui seul comme pourrait le faire le corps lui-même. Pour la première supposition, nous ferons remarquer que la matière, par cela seul qu’elle est étendue, étant indéfiniment divisible, la faculté limitée de résistance que nous attribuons au corps va se trouver actuellement divisée à l’infini entre les éléments