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DUNAN. — les théories métaphysiques

évident que la blancheur de l’objet tient à la loi de causalité qui est une loi de l’entendement, comme son extension tient à la loi de spatialité ? qui est une forme a priori de la sensibilité. Et, si l’on disait que la loi de causalité n’explique pas absolument pourquoi le blanc nous paraît blanc, plutôt que rouge, ou que sonore, ou que sapide, ce que nous reconnaissons volontiers, nous répondrions que la sensation du blanc répond en nous au concours de deux causes, qui sont : d’abord un mouvement vibratoire des molécules de l’éther, dont le principe est purement mécanique et rentre pleinement dans la loi de causalité ; puis une disposition qui tient à l’organisme, et en vertu de laquelle il faut, qu’à la suite de l’impression reçue, nous voyions une couleur blanche. Mais cette disposition en vertu de laquelle la sensation se spécifie ainsi, d’une façon qui nous est impénétrable, c’est encore une loi de la nature du sujet, et nullement le résultat d’une activité étrangère à la nôtre. Le noumène n’a donc rien à voir dans la production des phénomènes, ni quant à leur matière, ni quant à leur forme ; à moins qu’on ne l’entende à la manière de Spinoza, c’est-à-dire comme une substance unique dont l’esprit et ses lois d’un côté, le monde et ses phénomènes de l’autre, ne seraient que deux manifestations corrélatives et parallèles. Mais il est assez clair que Kant ne l’entend pas ainsi, et nous sommes en droit de dire, à ce qu’il semble, que, même au point de vue du Kantisme, le noumène demeure une hypothèse insoutenable.

Cependant nous ne pouvons pas nous en tenir là dans notre réfutation, parce que la doctrine du noumène s’est, répandue bien au delà des frontières du criticisme, avec lequel elle ne fait nullement corps, et que, par conséquent, ce n’est pas la réfuter vraiment que de la combattre au nom des principes criticistes. Nous devons donc l’envisager à un point de vue plus général.

Si l’on dégage l’idée du noumène de tous les éléments accessoires qui tiennent à son origine kantienne, il reste une conception très simple, très répandue, qu’ont adoptée une multitude de philosophes de tendances et d’opinions d’ailleurs extrêmement diverses, et que l’on peut exprimer avec précision dans la formule suivante qui est justement celle de Kant : Puisque les phénomènes que nous constatons ne sont que des apparences, il faut bien qu’il existe un quelque chose qui apparaisse. La formule est simple, disions-nous, et ce qu’elle exprime paraît d’une vérité incontestable. Mais toute la question est précisément de savoir si ce que nous percevons est apparence ou non. De ce que nos représentations ont été reconnues subjectives et relatives, il ne résulte nullement qu’elles ne soient que des apparences : le prendre pour accordé, c’est commettre une péti-