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DUNAN. — les théories métaphysiques

rationnellement explicables. À ce double point de vue, elle est donc soumise aux lois de l’esprit, elle appartient à l’ordre idéal. Que lui reste-t-il donc qui lui soit propre, et qui lui constitue une sorte d’autonomie par rapport à l’esprit, de telle sorte que l’on puisse dire qu’à ce point de vue au moins, elle est indépendamment de lui ? Ce qu’elle a, dites-vous, c’est sa nature, c’est son essence en vertu de laquelle elle est une force. — Quoi ! elle tient d’elle-même son essence, c’est par elle-même qu’elle est une force, mais c’est en vertu des lois de l’esprit, ou, si vous l’aimez mieux, c’est conformément aux lois de l’esprit qu’elle est une force de telle intensité et de telle direction ? Elle est donc par elle-même sans être en aucune façon déterminée ? Et, même en l’entendant ainsi, croyez-vous qu’à l’analyse, je n’y découvrirai pas une fois de plus quelque chose d’intellectuel, et où l’esprit se retrouvera encore ? Non, nous ne confondons point le concret avec l’abstrait ; mais ce que nous soutenons, c’est que, dans le concret même, ce que l’analyse reconnaît, c’est l’esprit avec ses lois ; et qu’après avoir, autant qu’il se peut, fait évaporer l’idéal, ce que l’on retrouve au fond du creuset, c’est l’esprit encore, l’esprit toujours. Du reste c’est l’esprit actif et vivant ; et cette vie de l’esprit est justement le résidu dernier qui ne se laisse pas réduire aux lois abstraites de la connaissance, et qui fait le caractère concret de nos représentations.

Ainsi le principe de l’universelle intelligibillité n’admet pas d’exceptions. En accepter une seule, serait pour la raison un véritable suicide, parce que les principes auxquels elle obéit ne sont rien s’ils ne sont absolus. Dès lors, comment poser en face d’un esprit qui a de telles exigences une matière qui serait si peu que ce soit, et qui, par conséquent, résisterait si peu que ce soit à l’effort que fait l’esprit pour l’expliquer, c’est-à-dire pour la réduire à ses lois ? Cette matière, nous avons beau la poursuivre, la traquer par l’analyse, elle se dérobe toujours : et si, vaincue par nos étreintes, elle nous laisse entre les mains quelque chose qui ne soit plus un rapport, mais qui apparaisse comme un résidu irréductible aux lois les plus générales de la pensée, il se trouve que ce résidu appartient encore à l’ordre représentatif, et exprime l’esprit comme tout le reste. Le fond dernier de la matière c’est donc encore l’esprit, et le noyau irréductible à la pensée et réfractaire au principe de l’intelligibilité universelle que nous nous flattons de concevoir, et que nous nous imaginons atteindre, n’est qu’une illusion et une chimère.

Quelle est la conclusion dialectique à laquelle nous aboutissons avec tout ceci ? C’est que l’être, — et nous entendons par ce mot l’être véritable, celui qui est absolument, ens per se, — est un, nous ne