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DUNAN. — les théories métaphysiques

ait un nom concret. Ce nom, ce n’est pas celui de corps : un corps, nous l’avons vu, n’est qu’une collection de sensations ; c’est une donnée de la représentation, ce n’est pas un être. C’est encore moins celui de matière : si les corps ne sont pas, la matière qui n’est que l’idée de corps généralisée, ne saurait être. Ce nom, c’est celui d’esprit.

Donc une seule chose est au monde, l’esprit. Du reste, si la raison se refuse à admettre la pluralité de l’être, quant à l’essence elle admet parfaitement la pluralité des êtres quant au nombre, et dans l’être des degrés à l’infini. On peut être plus ou moins ; et c’est encore une erreur du sens commun que de considérer l’existence comme quelque chose d’absolu. Le sens commun dit comme Hamlet : « Être ou n’être pas » ; et cependant il est certain que tous les êtres, c’est-à-dire tous les esprits ne sont pas de même puissance et de même intensité. Tout au haut de l’échelle, on peut concevoir l’Être sans restriction ni limitation, l’Esprit absolu ; puis, plus bas, mais à une distance nécessairement infinie, — puisque entre l’illimité et le limité, il ne saurait y avoir de commune mesure, — d’autres êtres, c’est-à-dire d’autres esprits, de même essence que le premier, mais de plus en plus amortis, de moins en moins existants, et dont les derniers tendent à se confondre de plus en plus avec le néant. Ce qui différencie ces esprits de degrés si divers, et ce qui exprime chacun d’eux, précisément à ce point de vue du degré de perfection et de réalité qu’il possède, c’est l’éclat de la représentation que chacun d’eux se constitue à lui-même, et dont il s’enveloppe. Ce qu’est la représentation chez des esprits très distants du nôtre, soit en remontant vers la région supérieure de l’échelle, soit en descendant vers l’inférieure, il nous est impossible même de le conjecturer d’une façon bien vague. Mais ce que nous savons, et ce que nous pouvons dire, c’est que cet univers, avec la complexité de ses phénomènes et de ses lois, avec son infinité dans le temps et dans l’espace, est l’œuvre du génie admirable qui réside en nous. Les splendeurs du monde physique, les harmonies plus étonnantes encore du monde moral, notre raison, nos aspirations vers le meilleur, avec les joies et les douleurs qui en sont la conséquence inévitable, tout cela réuni exprime en perfection le degré de notre participation au divin et à l’absolu.

Cette métaphysique qui ramène tout à l’unité d’une seule essence, sera traitée de paradoxale. C’est pourtant la métaphysique éternelle, la métaphysique de tous les temps et de tous les pays, de l’Inde comme de la Grèce, des peuples modernes comme des peuples anciens. S’il est un point sur lequel se soient accordés, malgré des divergences très réelles, que du reste on a toujours tendance à