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exagérer, tous les grands penseurs qu’a enfantés l’humanité, c’est l’unité de l’être. Ces grands esprits qui sont et demeurent nos maîtres, ont pu varier lorsqu’il s’est agi de déterminer la conception qu’il convient de se faire de l’être ; mais ils ont été unanimes, on peut le dire, pour proclamer que l’essence des choses est une, que tout ce qui est véritablement a une nature et une essence communes, et qu’enfin la matière, si l’on veut en faire une chose en soi et un second absolu différent du premier, est une chimère et un non-sens.

Cette métaphysique moniste est celle de Platon, qui ne voyait dans la matière qu’une simple limitation de l’être, et pour qui tout le réel et tout le positif des choses était dans l’Idée, c’est-à-dire dans le Bien, auquel elles participaient sous des formes diverses et à des degrés divers.

C’est, d’une façon plus incontestable encore peut-être, la métaphysique d’Aristote, aux yeux de qui tout l’univers n’était que la Pensée éternelle à des degrés divers de réalisation. Chez Platon, la matière ou le non-être gardait encore un semblant d’existence. Ce n’était pas quelque chose, et pourtant ce n’était pas absolument rien. Chez Aristote, la matière est définitivement reléguée au rang des abstractions, c’est-à-dire niée comme existence, et le seul titre que le philosophe veuille bien lui reconnaître comme objet de pensée, c’est qu’elle exprime l’être imparfait, en tant qu’il est susceptible de recevoir des déterminations nouvelles et une forme plus parfaite.

C’est enfin la métaphysique de Plotin qui fait procéder du premier principe, l’intelligence d’abord, puis l’Âme, puis le monde tout entier avec la multiplicité indéfinie de ses phénomènes.

Avec Descartes, nous rencontrons pour la première fois dans l’histoire une grande métaphysique ayant le caractère dualiste. Cependant, à la réflexion, ce dualisme même paraît beaucoup moins radical qu’on aurait pu le croire d’abord, et que Descartes l’avait pensé sans doute. Cette matière, en effet, que le réformateur de la philosophie moderne oppose à la pensée, et qu’il réduit à la pure et simple extension, est-elle bien véritablement quelque chose, dépouillée qu’elle est de toute activité ; et n’est-ce pas, comme l’a montré plus tard Leibniz, un simple fantôme dont les yeux de Descartes ont été abusés ? Au reste l’erreur ne fut pas de longue durée, et c’est du sein même de l’école cartésienne que s’élevèrent les premières protestations contre une doctrine qui se mettait si peu en peine de donner satisfaction à ce grand besoin de la pensée humaine, le besoin d’unité. Spinoza, plus logique en cela que Descartes, il faut l’avouer, n’hésita pas à convertir ces deux prétendues substances, l’étendue et la pensée, en deux simples attributs d’une substance unique et