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sa position. Son livre est consacré à la recherche d’une philosophie religieuse, c’est-à-dire d’un idéal moral et d’une théorie sur le monde qui réponde à cet idéal. Mais M. Royce commence par la recherche de l’idéal moral, avant d’examiner ce que peut être le monde. « L’idéal dit-il, doit, si c’est possible, être étudié le premier parce que c’est cet idéal qui doit donner un caractère à toute notre recherche sur la réalité. »… « Nous supposerons un agent moral en présence de ce monde concret de la vie humaine dans lequel nous croyons tous exister. En dehors de ce cercle éclairé des relations humaines, tout, pour le moment, reste obscur pour l’agent moral. Son origine, sa destinée, ses rapports entiers à la nature et à Dieu, s’il y a un Dieu, il ne les connaît pas au début. Nous le concevons comme sachant qu’il est vivant au milieu d’une multitude d’individus vivants. Certaines relations morales doivent s’établir entre eux, se déterminer et se développer. Pour sa vie ou pour la vie du genre humain en général, il doit se former un idéal. »

Cet idéal, nous avons de la peine à le trouver, les systèmes sont en désaccord, et aucun d’eux ne peut nous donner de preuves suffisantes de sa valeur. Ainsi considéré, le monde moral semble essentiellement un chaos. Chaque fin, si on la choisit, a ses propres moyens de classer les actes comme bons et mauvais ; mais aucune fin ne peut s’établir théoriquement par la défaite de ses adversaires. La lutte qui règne entre les fins est de l’ordre pratique, mais ne peut être rationnellement jugée ou terminée. »

Nous sommes ici en plein scepticisme. C’est de ce scepticisme que la morale va sortir.

Qu’est-ce en effet que ce scepticisme ? Que signifie-t-il ? « Ce scepticisme, dit M. Royce, exprime l’indétermination que nous ressentons quand nous contemplons deux buts opposés de telle manière que, momentanément nous les acceptons tous les deux. Pour un moment, nous réalisons également ces buts opposés. Ils sont nôtres. Le conflit est en nous. Les deux volontés représentees sont notre volonté. C’est pour cette raison et pour cette raison seulement que nous pouvons sentir l’indécision du scepticisme. Si nous avions la volonté qui choisit seulement l’une des fins, nous la choisirions sans hésiter et sans remarquer la volonté opposée assez pour être sceptique. Si nous avions seulement la volonté qui prend la fin opposée, nous nous sentirions également indifférent pour la première. Si nous n’avions dans l’esprit aucune volonté du tout, si nous ne réalisions aucune des deux fins opposées, nous ne sentirions en nous aucune hésitation entre les deux. Notre doute naît de ce que pour un moment et provisoirement, nous les acceptons toutes les deux… le scepticisme moral est lui-même le résultat d’un acte, de l’acte par lequel nous cherchons à réaliser en nous des fins opposées au même moment ». La psychologie d’ailleurs admet que l’idée est une tendance à l’acte et que se représenter un but, c’est déjà commencer à le réaliser, mais il ne s’agit pas seulement d’une nécessité imposée par la nature de notre esprit, il y a ici « une nécessité philosophique ».