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ANALYSES.j. royce. The religious aspect of philosophy.

Qu’est-ce qui représente une volonté, si ce n’est une volonté ? Qui pourrait savoir ce que c’est que d’avoir un but autrement qu’en ayant actuellement un but ? Qui pourrait se représenter un but donné autrement qu’en le répétant en lui-même ? Ainsi il est rationnellement et universellement nécessaire que l’on se représente la fin d’un système de morale en reproduisant en soi la volonté qui accepte cette fin. Mais, d’un autre côté, en tant qu’il reproduit en lui cette volonté seule, il ne peut s’empêcher d’accepter la fin. Cette volonté, en tant qu’il la reproduit, devient sa volonté. Et le but devient son but. Ainsi notre scepticisme lui-même était une hésitation résultant de la réalisation de plusieurs fins opposées et de la reproduction simultanée des volitions qui tendent vers ces fins. Ainsi, nous le voyons, le scepticisme moral absolu ne serait pas, en réalité, l’absence d’un but moral, mais il serait plutôt l’état de neutralité qui résulterait du fait d’accepter provisoirement toutes les fins qui sont en conflit dans le monde de l’action. Le scepticisme moral absolu, s’il pouvait exister sans se détruire lui-même, supposerait encore une fin, l’effort pour harmoniser, en même temps toutes les fins qui se combattent dans le monde de la vie. Il ne serait pas ce qu’il supposait lui-même devoir être. Le scepticisme absolu serait ainsi fondé sur une « benevolence » absolue. Son propre but serait l’harmonie et l’unité de la conduite. Mais précisément pour cette raison, il se détruit lui-même.

Nous voici donc arrivés à un idéal moral par le scepticisme lui-même. M. Royce commente son idée et la prend par divers côtés. Nous en avons vu l’essentiel. L’être qui se représente une fin morale veut cette fin par cela même et tend à les réaliser toutes à la fois, c’est dire qu’il désire l’harmonie et l’unification des fins. De là l’auteur tire des conséquences importantes et des règles de morale. L’idéal, tel que nous l’avons trouvé au cœur même du scepticisme, implique que les actes soient dirigés dans le sens de l’harmonie universelle. Il demande que l’on agisse toujours dans ce but que l’on considère toutes les fins morales qui sont en conflit et que les actes soient déterminés d’après cette considération. Il nous donne un nouveau principe de conduite, très général, et au-dessus du scepticisme qui peut s’attaquer à tous les autres. Ce principe est celui-ci : « Agis comme tu voudrais agir si toutes les conséquences de ton acte pour toutes les fins qui peuvent être intéressées de quelque manière pour cet acte, pouvaient être réalisées par toi maintenant et dans le temps d’un seul et indivisible moment, » ou, plus brièvement : « Agis toujours à la lumière de la connaissance la plus complète possible des fins que ton acte peut intéresser. »

C’est là la maxime abstraite. M. Royce nous montre comment on peut la réaliser. Tout d’abord il faut apprendre à considérer ses semblables comme des êtres réels existant en eux-mêmes, pour eux-mêmes et non seulement dans leurs rapports avec nous, il faut, autant que possible nous représenter leur vraie nature, il faut faire nôtre la personnalité des autres hommes, c’est là le véritable altruisme. Il ne consiste pas