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ANALYSES.ch. secrétan. Le principe de la morale.

ce chapitre (p. 239-248) est à relire et à méditer : ce qui fait sa haute valeur, c’est la rare finesse d’observation de M. Secrétan, sa connaissance des hommes, son sens droit et, par-dessus tout, son entière et admirable bonne foi : les écrivains qui cherchent sciemment à tromper ceux qui les lisent sont rares, mais bien rares aussi sont les hommes aussi sincères avec eux-mêmes, aux dépens, s’il le faut, de la belle ordonnance extérieure de leur doctrine.

M. Secrétan constate que même ce moindre bien, nous ne parvenons pas à le réaliser. Cette fois l’obstacle vient de nous ; les meilleurs ne sont pas contents d’eux-mêmes. C’est que « notre arbitre n’est point intègre ». Nous sommes prédestinés, prédestinés au péché. L’explication historique qui a été donnée plus haut du mal moral l’explique, mais ne le justifie point. Il faut cependant essayer de pénétrer ce mystère, le plus obscur de tous. L’autorité absolue, universelle de la loi morale ne saurait s’entendre que si nous croyons en Dieu : Dieu est juste, par définition même ; cette fatalité qui nous fait porter le poids des péchés d’autrui et nous entraîne ainsi au péché nous-mêmes serait une injustice évidente, s’il n’était vrai que l’humanité ne forme qu’un seul être. « Le mal ne saurait devenir naturel, suivant la justice, que s’il est produit par une détermination de la liberté. Vous trouvez le mal moral en vous sans pouvoir vous en débarrasser. Infailliblement, c’est votre faute, car Dieu n’est point injuste. » Malgré la révolte des sens et de l’entendement, il faut affirmer, il faut comprendre que notre condition est notre ouvrage : pour cela, il faut se persuader que l’être véritable, le sujet moral par excellence, c’est l’espèce. Le salut de l’individu consiste à se rendre utile au salut de l’ensemble ; sa perte, c’est d’être nuisible à l’ensemble. D’ailleurs, si l’homme a droit à la justice de la part de ses semblables, peut-être n’a-t-il pas de comptes à demander à Dieu. Sans doute le désaccord entre le fait et l’idée subsiste, mais on peut se résigner à l’ignorance des destinées individuelles. M. Secrétan avoue du reste qu’il sent combien cette conciliation reste imparfaite et il souhaite qu’il s’en produise une meilleure, qu’il se déclare prêt à accepter.

Le livre semble terminé ici, mais M. Secrétan veut rechercher encore si le caractère absolu qu’il a reconnu au devoir l’autorise à formuler quelques conclusions sur le principe de l’être. Il établit qu’il y a dans ce phénoménisme exclusif une sorte de contradiction, que la recherche de la substance est une recherche légitime. Qu’est-ce que cette substance ? C’est la volonté : elle est l’être, non mon être seulement, mais l’être universel. Vouloir implique un objet : quel est l’objet du vouloir primordial ? Dans l’absolu être et bien sont synonymes : « l’être est bien, s’il est un bien ; autrement d’où viendrait le bien ? » Mais comment arriver à une notion plus précise ? Le bonheur seul est un bien certain, indiscutable ; c’est même une évidence, puisque le bonheur n’est autre chose que la satisfaction de la volonté. « Si l’être est volonté, si le bonheur est la satisfaction de la volonté, celle-ci devient son objet à elle-même… Vouloir, vouloir ce qu’il faut et y parvenir, c’est là le bien ;