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tographique ou un déplacement d’objet matériel constaté par plusieurs personnes dans des conditions scientifiques irréprochables.

Il n’est même pas suffisant que la soi-disant apparition ait été vue par plusieurs personnes. En effet, certains états d’esprit sont contagieux, pour ainsi dire, et se communiquent avec une intensité étonnante ; un a décrit des cas de folie à deux. Il n’y a donc rien d’invraisemblable à admettre des cas d’hallucination à deux.

En fin de compte, la seule démonstration irréfutable d’une apparition serait soit l’impression photographique, soit le déplacement d’objets matériels. Or, jusqu’ici, cette preuve n’a pas été donnée, et nous l’attendons, avant d’affirmer quoi que ce soit sur la réalité des ombres.

Il ne reste donc que la troisième hypothèse, — et celle-là nous paraît extrêmement probable, — c’est qu’il s’agit d’hallucinations.

Les aliénistes admettent, en général, que l’hallucination ne se présente pas chez des gens qui ne sont ni aliénés ni prêts à l’être. Mais cette opinion nous paraît beaucoup trop absolue. Au contraire nous connais-sons nombre de cas où l’intégrité de l’intelligence était incontestable et où, cependant, il y a eu hallucination.

Un de nos confrères pourra donner à cet égard des indications très intéressantes ; et ce que je rapporte ici n’est en quelque sorte que l’avant propos de ses observations remarquables.

Je pourrais citer aussi un certain nombre de cas inédits :

Un peintre ayant perdu sa belle-sœur dont il était fort épris, l’a, pendant quelques jours, vue fréquemment à côté de lui, sous une forme réelle, absolument comme si elle était vivante.

Un académicien, que je ne désigne pas autrement, âgé, presque aveugle, mais ayant la pleine possession de lui-même et de ses facultés, voit des personnages divers venir auprès de lui, s’asseoir à ses côtés et passer devant ses yeux. Il se rend parfaitement compte qu’il ne s’agit à que de visions sans réalité extérieure.

Une jeune femme de ma famille a eu, étant âgée de dix ans, au moment de la mort de son père, l’hallucination de l’ombre de son père.

Un littérateur russe, d’une intelligence tout à fait remarquable, m’a raconté avec détails une hallucination qu’il a eue à deux reprises différentes à un jour de distance. Quoiqu’il ne soit pas convaincu qu’il s’agissait là, non d’une apparition, mais d’une hallucination, il n’y a pas de doute à cet égard ; car il était seul, et la soi disant apparition n’a eu aucune action sur des objets matériels.

Ces exemples sommairement racontés et pour lesquels il faudrait entrer assurément dans de plus grands détails, n’ont d’autre intérêt que celui d’émaner de personnes dont la bonne foi est incontestable et dont l’intelligence est tout à fait intacte. Certes, nos confrères de la Société psychologique, en cherchant bien, trouveraient pareils exemples autour d’eux, et cette recherche ne serait pas sans intérêt.

En effet, si le plus souvent l’hallucination — et j’entends par là l’hallucination complète de la vue, de l’ouïe et du toucher — ne se rencontre