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CH. FÉRÉ. — sensation et mouvement

férables pour ces expériences, il n’est pas nécessaire d’être officiellement nerveux pour être capable de présenter des phénomènes fort nets. Si au lieu de se servir du dynamomètre on se sert d’un dynamographe pour inscrire les pressions manuelles, exécutées soit à l’état normal, soit sous l’influence de certaines excitations, on peut constater avec plus d’évidence encore des différences marquées chez des sujets réputés normaux.

Nous avons déjà signalé, que, à propos des excitations auditives, les sensations pénibles s’accompagnaient d’une dépression de l’énergie, tandis que les sensations agréables coïncidaient, au contraire, avec une exagération. L’étude d’un grand nombre d’hallucinations provoquées avait déterminé des effets analogues. Et nous pouvons ajouter que, sous l’influence des émotions agréables ou pénibles provoquées par tout autre procédé, on observe les mêmes variations dynamométriques. Lorsqu’un sujet est soumis au phénomène décrit ailleurs sous le nom de polarisation psychique[1], et qui consiste en une sorte d’inversion de l’état psychique sous l’influence d’une excitation externe, l’état dynamique change avec l’état émotif. Réciproquement, il est bien manifeste que les couleurs, les odeurs, etc., qui déterminent les effets dynamogènes les plus intenses sont en général agréables.

Nous avions conclu de ces remarques que la sensation agréable ou désagréable était constituée par une exagération ou une diminution de l’énergie potentielle. Certains faits cependant relatifs à des sensations manifestement pénibles semblaient contredire cette règle. L’étude de quelques sensations olfactives en particulier nous permettra, je pense, de rétablir l’accord entre toutes les expériences.

M. le docteur G., qui est très sensible à l’action des odeurs, a bien voulu nous servir de sujet d’expérience. Après avoir pris la force dynamométrique de la main droite, qui varie de 50 à 55 dans plusieurs épreuves, nous approchons vivement de ses narines un flacon contenant du musc pur qui nous a été obligeamment prêté par notre ami M. Ch. Girard, directeur du laboratoire municipal, c’est dire qu’il s’agit d’un produit parfaitement sûr. M. G. déclare que cette odeur est extrêmement désagréable ; sa force dynamométrique, prise à ce moment, donne 45, c’est-à-dire qu’elle semble diminuée. La même expérience est reprise plus tard, mais en laissant le flacon à distance, de telle sorte que l’impression arrive atténuée ; M. G. déclare alors que cette odeur est très agréable, et sa physionomie exprime très nettement la satisfaction, il donne alors une pression de 65, c’est-à-dire une augmentation de 10 à 15, d’un sixième ou d’un cinquième.

Chez une hystérique, anesthésique générale, qui a une obnubilation très manifeste du sens de l’odorat, l’approche immédiate du flacon de musc détermine une sensation très agréable en même temps qu’une

  1. A. Binet et Ch. Féré, La polarisation psychique (Revue philosophique, avril 1884).