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dynamogénie très intense (46 au lieu de 23). Dans une autre expérience sur le même sujet, nous laissons le flacon de musc au contact des narines pendant trois minutes ; après avoir déclaré d’abord la sensation très agréable, il commence à en être incommodé, l’exploration dynamométrique qui n’avait pas été faite jusque-là, donne 19, c’est-à-dire une diminution notable. Si on continue l’expérience, si on persiste à faire agir l’odeur du musc, peu à peu la sensation s’affaiblit, puis disparaît, la réaction dynamométrique baisse encore un peu, enfin le sujet tombe dans le sommeil léthargique. La sensation olfactive a agi exactement comme les sensations auditives et visuelles prolongées ; toutes sont excitantes au début, puis déterminent l’épuisement qui aboutit au sommeil quand il s’agit d’un sujet prédisposé.

Cette succession de phénomènes, soit dit en passant, montre que le sommeil provoqué n’est pas séparé du sommeil spontané à son origine : la fatigue est la cause primordiale ; tantôt elle se produit à la suite d’une décharge brusque résultant des mouvements réflexes déterminés par une impression brusque : tantôt elle se produit lentement en conséquence d’une impression prolongée et monotone. Notons d’ailleurs que cette succession de phénomènes, à savoir sous l’influence d’une même excitation, la sensation forte, puis l’absence de sensation, et la fatigue, existe à l’état physiologique ; et on peut la reproduire sur bon nombre de sujets normaux. Il en découle qu’une excitation, même lorsqu’elle n’est plus perçue, détermine encore des effets dynamiques et finalement la fatigue. Une excitation agréable ou désagréable peut cesser d’être perçue sans pour cela cesser d’exercer des effets mécaniques, dont l’absence est parfaitement reconnue lorsque l’excitation vient à être supprimée.

Ces différentes expériences concordent parfaitement pour nous montrer que les sensations agréables s’accompagnent d’une augmentation de l’énergie, tandis que les désagréables s’accompagnent d’une diminution. La sensation de plaisir se résout donc dans une sensation de puissance ; la sensation de déplaisir dans une sensation d’impuissance. Nous en sommes donc arrivés à la démonstration matérielle des idées théorique émises avec plus ou moins de clarté par Kant, par Bain, par Darwin, par Dumont, sur le plaisir et la douleur.

Or toute excitation qui amène une augmentation de l’énergie potentielle, se termine par une décharge, tantôt lente, quand l’excitation est modérée, tantôt brusque, quand l’excitation est forte et détermine des mouvements réflexes. L’impression de l’ammoniaque sur l’odorat détermine de mouvements, elle produit une décharge brusque avec dépression rapide de l’énergie potentielle, et par conséquent une sensation désagréable. L’exagération immédiate et momentanée de la pression n’est que l’effet direct de la décharge réflexe, qui se traduit non seulement dans les muscles de la vie de relation par des contorsions du visage et du corps, par des cris, etc., mais encore dans les muscles de la vie végétative, par des manifestations variées dans le domaine de la circu-