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CH. FÉRÉ. — sensation et mouvement

lation, etc. Chaque décharge s’accompagne d’une diminution de potentiel, de sorte que, à partir d’une certaine limite, la sensation ne peut plus s’accroître proportionnellement à l’excitation.

Nous avons vu précédemment que les impressions auditives déterminent successivement des phénomènes analogues d’excitation et de dépression. Il en est de même des impressions portant sur les autres sens. Les sensations de la vue sont particulièrement instructives, car elles nous montrent non seulement que la fatigue d’un organe tient à une diminution de l’énergie potentielle du sujet ; mais encore que cette diminution coïncide avec une modification des vibrations moléculaires. En effet, lorsque l’on regarde longtemps un carré rouge appliqué sur un fond blanc on voit apparaître du vert sur ses bords, c’est le phénomène du contraste simultané ; chez les sujets faibles, ce phénomène se manifeste plus tôt ; on le voit plus tôt aussi lorsqu’on est fatigué ; or on peut le faire apparaître d’emblée pour ainsi dire chez certains sujets par l’application d’un aimant.

Mais je me suis surtout proposé de montrer que le plaisir et la douleur sont en corrélation avec l’énergie potentielle du sujet. Les sens de la vue, de l’ouïe, de l’odorat, du goût, ne sont pas les seuls qui nous fournissent des arguments à cet égard ; les excitations du sens génésique nous présentent des phénomènes non moins démonstratifs. Il est facile de se rendre compte de l’exaltation, de l’énergie qui s’accroît jusqu’au paroxysme, pour se maintenir pendant un certain temps, après lequel il se fait une dépression persistante. Il n’est pas nécessaire d’insister sur les états psychiques qui correspondent à cette exaltation et à cette dépression dynamique. La stimulation est par elle-même un plaisir ; c’est pour cela que l’homme aime les sensations, comme le dit Aristote. Or, toute sensation qui n’amène pas la fatigue produit une stimulation. Spencer a quelque peine à s’expliquer comment le croassement des corbeaux peut être agréable : c’est tout simplement parce que c’est un bruit. Les effets toniques du bruit ont été reconnus empiriquement, et l’habitude de s’exciter par des cris de guerre, de s’encourager la nuit en chantant est la trace de cette observation. Spencer, comparant le jeu au sentiment esthétique dit que ce sont des exercices artificiels d’activité sans avantage ultime. Nos expériences montrent que l’un et l’autre augmentent au moins pour un temps l’énergie spécifique.

S’il est vrai que les sensations agréables ne jouissent de cette qualité qu’en raison de la sensation de puissance qu’elles développent, on peut dire aussi que le plaisir subjectif est constitué par la sensation subjective de puissance. Le plaisir de la puissance (Dugald Stewart) peut donc trouver son explication physiologique, tout comme la douleur de l’impuissance ; l’un produit un développement des sentiments de bienveillance, l’autre produit les sentiments inverses ; aussi voit-on le maître pardonner, l’esclave jamais. Quand on a la puissance, il faut s’appliquer à ne pas la faire sentir, c’est un principe important de la politique