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BERNARD PEREZ. — la conscience et l’inconscience

promener sur le bord de l’Adour. Mon père m’emmène avec lui chasser des insectes. Et puis, nous avons le grand jardin, où nous faisons du jardinage, où nous trouvons de la terre glaise pour faire de la poterie. Toujours quelque chose d’amusant à faire. »

Ce sont là réponses d’enfant à l’esprit juste et net, et d’imagination, non point littéraire, mais plutôt scientifique. Ce qui l’intéresse, avant tout, comme tous les enfants de son âge, c’est son plaisir ; mais l’intérêt intellectuel a infiniment de prise sur lui. Il est surtout frappé des rapports logiques, des caractères essentiels des choses ; mais il ne voit rien au delà du petit coin où il se cantonne pour observer, pour happer des poissons ou des insectes. Il reconnaît d’un œil sûr ce qu’il a déjà vu, il saisit avec entrain les faits nouveaux ou rares ; mais peu ou point d’images d’ensemble, en relief, en fusion, en contraste ; peu de réminiscences secondaires à côté des souvenirs importants et bien tranchés ; surtout peu d’associations de sentiments sympathiques. Il formule sans chaleur des jugements presque toujours exacts : ceci est blanc, noir, de telle forme, de telle couleur, de telle grandeur, de tel effet ou de tel usage ; il dit même tout simplement, tout sèchement : ceci est beau, ceci est laid. Le jugement est formulé, non senti. Ce n’est là qu’un défaut tout relatif d’imagination esthétique. Accoutumé à des suggestions analogues à celles que je viens de rapporter, nul doute qu’il ne prît un tour d’esprit différent, et n’en vînt bientôt de lui même à considérer, dans les choses qu’il voit d’ailleurs si bien, des aspects, des rapports, des qualités susceptibles de produire en lu des émotions jusque-là étouffées par le développement exclusif de l’observation et du raisonnement.

III

Examinons maintenant le rôle de l’inconscient dans la sphère des émotions. Je n’ai pas à m’occuper des éléments physiologiques du sentiment, ni de ces infiniment petits de plaisir et de peine que les métaphysiciens, depuis Leibnitz, supposent être les obscurs composants des émotions conscientes. Il n’est déjà pas si aisé de découvrir lequel de ces trois éléments, affection, volition, perception ou représentation, prédomine dans une sensation manifestement éprouvée par l’enfant. Son langage, animal au début, n’exprime pas toujours avec précision ses états intérieurs les plus simples. Plus tard, sa parole et sa mimique, instruments très incomplets d’analyse et d’expression mentale, quand nous lui suggérons des réponses révéla-