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BERNARD PEREZ. — la conscience et l’inconscience

colère. Alors, comme elle est bonne enfant, sa colère cessa presque aussitôt ; mais, honteuse de se sentir apaisée, d’avoir souri après sa défaite : « Je voudrais m’en aller, dit-elle, et je voudrais rester : je ne sais pas ce que je veux. » Elle se rassit, et resta. Pourquoi voulait-elle s’en aller, pourquoi voulait-elle rester ? Les raisons du pour et du contre, très conscientes pour elle, étaient devinées par tout le monde. S’en aller, c’était se priver d’une partie de plaisir, et sans doute encourir les remontrances paternelles. Rester, c’était essuyer un petit affront, subir un déplaisir, léger après tout, mais l’un et l’autre bien compensés par une réjouissance de famille. Il est d’autres cas, plus compliqués, où les mobiles opèrent sous forme d’arrêt intermittent. On voit alors plusieurs idées ou sentiments s’effacer devant leurs antagonistes, puis revenir, coup sur coup, à la charge, quoique vaincus d’avance par les mobiles opposés.

Conscients ou non, c’est par leur force relative, par la réaction qu’ils produisent sur nos sentiments sur nos tendances innées ou acquises, que les motifs déterminent la volonté. Ils agissent sans la conscience ou malgré elle tout au moins son influence est un des plus faibles motifs. Le nombre et la puissance des motifs en jeu fait la perfection, ou, si l’on veut, la complication de l’acte volontaire. La délibération, consciente ou non, est presque tout entière dans leur conflit. Le choix, la résolution peut porter sur des éléments d’activité réflexe, et n’intéresser que faiblement la conscience. Souvent, après une hésitation présentant les caractères extérieurs d’une délibération, l’enfant même âgé de six ou sept ans, s’est décidé sans le savoir. Il ne le sait quelquefois qu’après avoir agi. « Tout de suite », je l’ai dit, est sa formule ordinaire avant l’action ; et « Je n’y ai pas pensé », sa formule ordinaire après l’action. Il n’y a pas pensé : rien de plus vrai. Il n’a pensé ni à ce qu’il devait ni à ce qu’il pouvait faire, faute d’un nombre suffisant d’expériences classées, contrôlées, remémorées à propos. Mais l’acte étant fait, et ses conséquences vues ou prévues, il y a là une expérience nouvelle qui s’impose à la conscience, qui ranime le souvenir des expériences analogues : ce sont là des motifs d’action apparus après coup. L’enfant qui vient d’agir n’est plus d’ailleurs, ni au point de vue des sentiments ni au point de vue du jugement, le même que devant. Ou son désir est satisfait, et il ne porte plus d’obstacle à la suggestion des idées et des sentiments que l’idée de l’acte aurait pu faire naître ; ou bien l’action n’a pas tourné à souhait, et, dans ce cas, à plus forte raison, et par contre-coup, les sentiments se rapportant à l’acte ont toute facilité pour réveiller et remplir la conscience. C’est même souvent ainsi que l’interrègne de la raison