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BEAUNIS. — l’expérimentation en psychologie

confond l’imagination plus que dans tous les faits que j’ai étudiés jusqu’ici.

Quand ces hallucinations négatives portent sur des sensations simples, elles sont encore assez facilement explicables. Lorsque je dis à un sujet : Vous ne voyez plus le rouge, on peut supposer qu’une catégorie d’éléments rétiniens (ou d’éléments cérébraux corrélatifs) a été paralysée, de même que lorsque je dis : Vous ne pouvez faire tel mouvement, je paralyse un certain groupe de muscles. Mais faire disparaître une personne qui se trouve là de façon que le sujet ne puisse ni l’entendre, ni la voir, ni la sentir, il y a là quelque chose de plus inexplicable que de faire apparaître une personne absente. Dans ce dernier cas, en effet, on comprend encore qu’une idée dominante puisse acquérir une telle intensité qu’elle se transforme en sensation et détermine ainsi le phénomène hallucinatoire ; mais dans le premier cas une explication du même genre est plus difficilement acceptable.

Mais ce qui est plus étrange encore, c’est qu’on peut faire disparaître une personne partiellement. Le sujet ne la verra pas, mais il l’entendra ; il pourra la voir et l’entendre, mais il ne sentira pas son contact. On conçoit quelles combinaisons d’expériences, quelles scènes singulières de toute nature on peut imaginer, et il semble qu’on entre là dans le domaine du merveilleux et pourtant ce merveilleux n’est que la réalité la plus exacte et la plus authentique. Ces expériences, tout le monde peut les répéter pour peu qu’il se mette au courant des procédés d’hypnotisation et qu’il agisse sur des sujets convenables. Je me contenterai de donner comme exemple l’expérience suivante que j’ai faite avec M. Liégeois en présence du Dr Liébault et d’un certain nombre de personnes. Cette expérience, très complexe du reste, mérite aussi l’attention à d’autres points de vue.

M. Liégeois suggère à Mme H… A… pendant le sommeil hypnotique, qu’à son réveil elle ne me verra ni ne m’entendra ; mais qu’elle sentira quand je la toucherai et qu’elle restera en rapport avec moi par le contact. À son réveil, la chose se réalise. Je me place devant elle, elle ne me voit pas ; je lui parle, elle ne me répond pas ; je lui prends la main, elle en a parfaitement conscience. Alors j’essaie l’expérience suivante. Je fais des passes devant les yeux de Mme H… A… qui est toujours parfaitement éveillée, cause avec les personnes présentes et voit et entend tout le monde excepté moi. Au bout d’un certain nombre de passes, elle s’endort. Dans ce sommeil elle n’est plus en rapport qu’avec moi ; elle m’entend, me répond et ne voit et n’entend plus aucune des personnes présentes ;