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Sa mémoire embrasse toute sa vie, à l’exception d’une seule époque, celle où il était paraplégique à Saint-Urbain et à Bonneval. Aussi ne se rappelle-t-il point avoir jamais été tailleur et ne sait-il point coudre.

Voilà donc six états différents de la conscience dont l’ensemble embrasse la vie entière du sujet. Les détails qu’il nous a donnés dans chacun d’eux se sont trouvés conformes aux renseignements renfermés dans les observations de M. Camuset et de M. Voisin, et à ceux obtenus par l’instructeur du conseil de guerre. Cette conformité ne laisse pas d’avoir une grande importance.

Ces états ont tous été obtenus par des agents physiques, parallèlement aux manifestations de la sensibilité et de la motilité, si bien que l’expérimentateur, en agissant sur l’état somatique, peut à son gré obtenir tel ou tel état connu de la conscience, état complet pour l’époque qu’il embrasse, c’est-à-dire avec sa mémoire limitée du temps, des lieux, des personnes, des connaissances acquises, des mouvements automatiques appris (écriture, art du tailleur), avec ses sentiments propres et leur expression par le langage, le geste, la physionomie. La concordance est complète.

Il nous restait à faire l’épreuve complémentaire ; agir directement sur l’état de conscience, et constater si l’état somatique se transformerait parallèlement. Pour agir sur l’état psychique, nous n’avons d’autre moyen que la suggestion en somnambulisme. Nous faisons donc la suggestion suivante : V…, tu vas te réveiller à Bicêtre, salle Cabanis. » V… obéit ; au sortir du somnambulisme provoqué, il se croit au 2 janvier 1884 ; l’intelligence, les facultés affectives sont exactement telles que nous les avons vues et décrites dans le deuxième état. En même temps, il se trouve hémiplégique et hémianesthésique à gauche ; la force au dynamomètre, la zone hystérogène, tout est transféré comme dans le deuxième état.

Dans une autre suggestion, nous lui commandons de se trouver à Bonneval, alors qu’il était tailleur. L’état psychique obtenu est semblable à celui décrit au quatrième état ; et simultanément est apparue la paraplégie avec contracture et insensibilité des parties inférieures du corps.

La démonstration nous paraît complète.

1o En agissant sur l’état somatique par les moyens physiques, l’expérimentateur place le sujet dans l’état concordant de sa conscience.

2o En agissant sur l’état psychique, il fait apparaître l’état somatique concordant.

Ce ne sont donc plus des alternances de personnalité qui apparaissent spontanément, au caprice de la maladie, comme dans le cas de Félida (M. Azam) ou dans l’observation antérieure de notre sujet lui-même (M. Camuset et M. Voisin). Ce sont ici des relations précises, constantes et nécessaires, entre l’état psychique et l’état somatique, telles qu’il est impossible de modifier l’un sans modifier l’autre parallèlement.