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losophie de M. Vacherot, nous écrivions : « Arrivé au vrai problème métaphysique, au problème de l’Être, M. Vacherot oublie sa prétention de faire de la métaphysique une science positive pour exposer une philosophie, dont les principes ne se rattachent plus directement à sa théorie de l’intelligence. L’analyse ne peut dégager des phénomènes extérieurs que le mode d’action selon lequel la nature réalise l’univers ; seule, la conscience de notre activité s’exerçant sous l’impulsion du désir nous découvre les idées de cause et de fin et la subordination des causes aux fins. Or, ce sont ces idées de cause et de fin qui, dans la cosmologie, appliquées à l’universalité des choses, deviennent les idées de l’infini et du parfait, de la cause qui comprend toutes les causes, de la fin qui concilierait toutes les fins, et c’est en concevant entre l’infini et le parfait un rapport analogue à celui qui s’établit en nous entre la cause et les fins qu’elle poursuit, que M. Vacherot arrive à sa théorie du progrès, de l’effort continu de l’infini vers l’idéal. » Nous ne contesterons donc pas à M. Vacherot que dans son grand ouvrage de « La Métaphysique et la Science » on ne trouve les germes de la théorie qu’il développe aujourd’hui. Déjà il admet, avec Maine de Biran et M. Ravaisson, que la conscience par la réflexion atteint non seulement les phénomènes du moi, mais le moi lui-même[1]. Déjà il accepte le dynamisme, et toute sa cosmologie est dominée par l’idée d’une évolution progressive, qui implique le subordination des causes efficientes aux causes finales. Est-ce à dire qu’il faille le croire sur parole quand il affirme qu’il n’a pas changé, qu’il pense aujourd’hui tout ce qu’il pensait alors ?

Dans « La métaphysique et la Science » il se montre surtout préoccupé d’établir une théorie de l’intelligence qui permette de constituer la métaphysique par les procédés mêmes de la science positive. Aujourd’hui encore il a l’ambition de faire de la métaphysique une science ; mais si le but est le même, il y marche par d’autres voies. Il fait à peine allusion à sa théorie de l’intelligence, fondée tout entière sur l’abstraction, l’analyse et la synthèse. Il se contente de l’expérience intime et des analogies que, selon lui, elle autorise. À coup sûr, il y a là un déplacement de point de vue, un changement de perspective. Il suffit, pour s’en convaincre, de voir la place que tient dans les deux ouvrages l’idée de finalité dans « la Métaphysique et la Science » elle n’est pas niée, elle est même supposée par toute la cosmologie ; dans le Nouveau spiritualisme, non seulement elle est affirmée, rattachée à ses origines, mais elle domine toutes les hypothèses de l’auteur.

Nous avons dit autrefois pourquoi nous ne croyions pas que M. Vacherot, dans son premier ouvrage, ait réussi à faire de la métaphysique une science. Est-il plus heureux dans sa nouvelle tentative ? M. Vacherot nous dira qu’il part de l’expérience, qu’il procède par l’induction,

  1. Dès 1846, dans l’article Conscience publié par le Dictionnaire des Sciences philosophiques, M. Vacherot reprenait les idées exposées et développées dans toutes leurs conséquences par M. Ravaisson, dans son bel article de la Revue des Deux-Mondes de 1840.