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ANALYSES.a. franck. Essais de la critique philosophique.

l’analogie et l’hypothèse, qu’il a sans cesse présents à l’esprit les grands résultats de la science et qu’il ne fait qu’expliquer ce qu’elle constate. Oui, mais l’identité de méthode n’est-elle pas une pure apparence ? L’expérience intime, qui révèle le moi dans sa réalité, a-t-elle le caractère d’une expérience scientifique ? Cette prétendue intuition n’est-elle pas déjà une hypothèse et une théorie ? Le fait que le savant constate s’impose à tous les esprits, nul ne songe à le lui contester. C’est qu’il s’agit bien d’un fait, c’est-à-dire d’un phénomène ; mais peut-on saisir l’Être, la cause ? C’est là un problème qui appelle la discussion. Ce fait, qui n’est pas un fait, semble même en contradiction avec certains faits, qui sont vraiment des faits. Il n’est pas absurde de soutenir avec Kant, avec Stuart Mill, avec les physiologistes et les aliénistes que l’unité du moi n’est pas réelle, qu’elle résulte d’un concours de lois qui en produit l’illusion subjective. Dès lors n’y a-t-il pas quelque chose d’artificiel dans le parallélisme des méthodes de la métaphysique et de la science ! N’y a-t-il pas là comme un jeu de mots qui porte sur l’ambiguïté du terme : expérience ? Et maintenant, qu’est-ce que l’induction scientifique ? C’est la découverte d’une relation constante entre deux phénomènes, c’est, en dernière analyse, la constatation d’un fait général. Quel rapport entre ce procédé et le raisonnement qui universalise les lois de notre propre activité ? Est-ce l’induction, qu’emploie le savant qui peut nous faire sortir du monde des phénomènes. Et si les deux méthodes diffèrent, quel intérêt y a-t-il à ne pas le reconnaître ? La métaphysique n’est pas la science, le mieux est de s’y résigner.

Nous ne pensons pas que M. Vacherot ait fait tout ce qu’il voulait faire : mais si son livre n’entraîne pas l’espèce de conviction qu’il eût aimé à produire dans les esprits, il n’en contient pas moins des vérités précieuses. L’inquiétude de vérité, l’ardent besoin de sincérité envers soi et envers les autres, qui nous a valu cette œuvre dernière, ne peut qu’ajouter au respect qu’inspire à tous les hommes qui comptent la noblesse morale du vieux philosophe.

Gabriel Séailles.

A. Franck.Essais de critique philosophique. 1 vol. Hachette, 1885.

Les Essais de critique philosophique de M. Franck touchent à toutes les parties de l’histoire de la philosophie, depuis Aristote jusqu’à nos contemporains. L’auteur les a groupés d’après l’ordre chronologique des sujets ; mais il a mis entre eux un autre lien plus intime et plus profond : c’est l’unité d’une même doctrine ou, pour parler plus exactement, l’unité d’une polémique uniformément et constamment poursuivie contre les théories positivistes et évolutionnistes. M. Franck n’attend pas, pour combattre l’ennemi, qu’il le trouve en face de lui