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ANALYSES.a. franck. Essais de la critique philosophique.

et rejeté par elle, c’est que la théologie est déjà pour lui ce qu’elle devait être pour les réformateurs du xvie siècle, l’œuvre de l’inspiration personnelle ; c’est qu’il donne la main à Luther et à Calvin, à travers tout le moyen âge. Non cependant que la Réforme, dans les dogmes qui lui sont propres, procède de lui. Luther est pour le « serf arbitre » : Origène a été un pélagien avant Pélage. La Réforme prétend remonter aux plus anciennes traditions de l’âge apostolique : Origène entrevoit un nouvel évangile. Il est le précurseur de ces Illuminés qui, au moyen âge, annonceront « l’Évangile éternel », et la trace de ses doctrines se retrouve jusqu’à nos jours chez tous les mystiques. La Réforme proprement dite ne lui est redevable que du premier exemple d’une théologie de libre examen ; mais n’est-ce pas le point capital ?

Avec la théologie chrétienne est née une science que l’antiquité ne pouvait connaître et qui attend encore ses formules définitives, après tous les efforts des docteurs du moyen âge et des publicistes de la Renaissance et des temps modernes : c’est la politique religieuse ou la politique appliquée aux rapports des Églises et des États. La liberté de conscience, quoiqu’elle n’ait pas encore cause gagnée près de tous les esprits éclairés et dans les institutions de tous les peuples civilisés, y a introduit depuis un siècle un élément dont les plus hardis penseurs, dans les siècles précédents, n’osaient pas tenir compte. Rien n’est donc plus curieux que de trouver chez un philosophe du xive siècle, Marsile de Padoue, une intelligence déjà parfaitement claire de quelques-unes des conditions dans lesquelles cette science se présente à la pensée moderne. Le principal ouvrage de Marsile, le Defensor pacis, pose hardiment la thèse de la souveraineté nationale. Il fait dériver de l’universalité des citoyens tous les pouvoirs de l’ordre civil et il leur donne pour unique fin l’intérêt général de tous les citoyens. Il fait mieux encore : il distingue nettement les intérêts privés, que le gouvernement doit seulement couvrir de sa protection, des intérêts publics, soumis à son action directe. Enfin il s’élève à la conception du gouvernement représentatif. À l’ordre civil il oppose l’ordre religieux, dont les bases sont distinctes, quoique analogues : d’un côté l’universalité des citoyens, de l’autre l’universalité des fidèles ; d’où deux sortes de lois, les unes qui régissent les actes matériels, les autres qui ne s’adressent qu’à la conscience : les premières répressives, les secondes purement persuasives et ne reposant que sur la force morale. Marsile de Padoue, malheureusement, ne pousse pas jusqu’au bout la logique de ses principes. Il fait rentrer le sacerdoce parmi les fonctions de l’État. Il a même tout un système sur l’organisation civile du clergé. Enfin s’il refuse à l’Église le droit de châtier l’hérésie, il maintient ce droit à l’État, sinon dans l’intérêt de la foi, du moins dans celui de l’ordre public. C’est beaucoup toutefois, pour un écrivain du moyen âge, de distinguer les deux intérêts, en ce qui concerne les opinions religieuses, et de réclamer l’impunité pour les opinions les plus hétérodoxes tant qu’elles ne mettent pas l’ordre public en danger.