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PAULHAN. — les phénomènes affectifs

Nous pourrions prendre au point de vue synthétique bien d’autres exemples, — reprendre, par exemple, le fait que nous avons exposé tout à l’heure et montrer comment une visite tout à fait indifférente en général peut donner lieu à de nouveaux phénomènes affectifs si de nouvelles impulsions contrariées viennent à naître, ou bien si les tendances antérieurement existantes sont gênées dans leurs manifestations. Mais il est facile de se rendre compte et d’observer des phénomènes de ce genre et, je veux, avant d’aborder des considérations secondaires montrant que la théorie que j’expose ici s’applique à divers phénomènes connus, dont je n’ai pas encore parlé et tiré d’eux une nouvelle confirmation, je veux, dis-je, pour éclaircir un peu plus le sujet, aborder une objection qui se présente facilement à l’esprit.

J’ai essayé d’établir que le sentiment était dû à l’arrêt d’une action réflexe, d’un mouvement : c’était admettre que le sentiment s’accompagne toujours d’une tendance physiologique au mouvement. Or il semble bien, à première vue, qu’il n’en est pas ainsi : à quelle tendance de ce genre correspondent des sentiments comme l’amour du beau, l’émotion esthétique, l’admiration, etc., voilà ce qui n’apparaît pas peut-être clairement tout d’abord. Que certains sentiments aient un côté actif, c’est ce qu’il est impossible de nier ; que tous les sentiments aient un côté actif, il paraît difficile de l’affirmer, cependant il y a, à mon avis, de fortes raisons d’admettre cette proposition.

Prenons, par exemple, le sentiment qui semble le plus contemplatif et le moins actif, l’admiration. Il est facile de voir qu’elle ne va pas sans certaine tendance à agir dans un certain sens, de manière par exemple, à ressembler à l’objet de notre admiration. Cela est évident dans certains cas. Admirer un héros, réel ou non, c’est avoir une tendance à agir comme lui, dans des circonstances analogues. Si, en effet, pendant que l’admiration se produit, nous changeons par la pensée nos conditions d’existence, en supposant qu’elles diffèrent de celles qui seraient favorables à l’imitation du personnage ordinaire, nous mettons immédiatement en relief la tendance à l’acte, tendance qui se trahit quelquefois par des ébauches de gestes, et qui devient au moins consciente. La tendance à l’acte dans le cas d’admiration pour une personne, quoique n’étant pas très saisissable au premier abord par la conscience, peut être ainsi mise en lumière par des réactifs appropriés. Ce n’est pas toujours aussi facile. C’est qu’il est des cas où la tendance à l’acte est plus vague, arrêtée plus tôt dans son processus. Que se produit-il en nous, par exemple, quand nous admirons un beau paysage ? Examinons un peu ce cas. Il est bien évident qu’il y a dans le plaisir causé par la vue du