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je l’ai maintenue consciente à force de volonté, jusqu’à ce qu’elle triomphât de l’idée habituelle ; alors elle a remplacé celle-ci comme associée du visum ; et le visum, qui n’avait pas changé, m’a paru autre, dès lors que son associé mental n’a plus été le même.

II. Il s’agit maintenant, non d’une observation, mais d’une expérience, expérience destinée à montrer le pouvoir de l’idée volontairement préconçue ou de la volonté mentale sur la perception. Comme l’observation qui précède, cette expérience est d’une vérification aisée : quiconque en aura lu le récit pourra la répéter.

[Image à insérer]

Fig. 3.

Tout cercle vu en perspective dessine sur la rétine un ovale. Nous voyons donc un ovale ; mais, comme cet ovale représente pour l’esprit un cercle, nous croyons voir un cercle. Ainsi, quand je suis à table, le bord ABCD du verre placé devant moi (fig. 3), est pour mes yeux un ovale ; mais je sais, je crois que ce bord est circulaire ; je considère l’ovale comme un signe, et je le traduis mentalement par un cercle. Cette idée du cercle vu en perspective est une habitude intellectuelle à tel point enracinée en moi, qu’il m’est impossible de voir l’ovale sans imaginer en même temps le cercle qu’il représente, et sans considérer ce cercle comme le véritable objet présent à mes sens, l’ovale comme une simple apparence, une illusion ; je le vois pourtant ; mais, à mon idée, il n’existe pas en soi et pour lui-même, comme s’il faisait partie d’un plan vertical, et je dois renoncer à le voir ainsi. D’ailleurs, il en est de même de tous les visa qui l’entourent : la table et tous les objets qui la couvrent me paraissent tous être vus en perspective ; je traduis, j’interprète les impressions que j’en reçois ; je leur attribue à tous des formes différentes de leur apparence, et j’imagine qu’ils s’étendent dans la troisième dimension, laquelle est étrangère à l’image qu’ils font sur ma rétine ; toutes mes habitudes d’esprit relatives à ces différents visa sont confirmées de longue date par l’expérience, et, de plus, elles sont coordonnées entre elles, elles se prêtent appui l’une à l’autre ; tout concourt donc à me donner l’idée de la profondeur ; rien ne favorise l’idée d’un plan. Il n’y