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EGGER. — sur quelques illusions visuelles

Mais cette circonstance ne peut que favoriser l’illusion qui nous occupe ; elle ne peut la créer ; car, d’une part, la partie inférieure de la glace nous paraît toujours un rectangle, et, d’autre part, la ligne EF, base du trapèze apparent, est beaucoup plus large qu’elle ne serait si l’esprit se bornait à accepter le trapèze rétinien sans l’interpréter, comme il fait d’ordinaire en pareil cas, par la supposition d’un rectangle vu en perspective. Sans doute la rectification habituelle ne se fait pas ; mais, de plus, nous élargissons par imagination la partie supérieure du trapèze rétinien, parce qu’elle représente à notre esprit un trapèze à large base découpé dans le plafond.

Reste à trouver un procédé qui détruise l’illusion. Il faudrait pour cela que je perde cette idée que EF est une ligne d’horizon, ou, plus précisément, l’intersection de deux plans qui se coupent à angle droit ; dès lors, le rectangle occupé par la glace ne me représentera plus aucune profondeur ; j’aurai détruit l’idée que mon visum est un reflet ; je serai parvenu à voir plan.

Dans le premier appartement, je n’y parvenais pas. Lorsque je fermais un œil pour simplifier la vision et supprimer le relief, je voyais un trapèze à base moindre que d’ordinaire, mais toujours un trapèze. Il faut dire que la glace était très haute : la perspective s’opposait sans doute avec une certaine force à la rectification de l’illusion. De plus, l’appartement m’était trop connu ; je l’habitais depuis plusieurs années ; des habitudes spéciales étaient prises de longue date pour interpréter tous les visa auxquels il m’avait accoutumé, et ces habitudes étaient sans doute trop enracinées.

Dans le second appartement, qui était nouveau pour moi, je suis arrivé sans trop de peine à voir plan dans les glaces. Elles étaient moins hautes ; mais ce n’est là qu’un accessoire. L’illusion étant psychique, c’est par un procédé psychique que je suis parvenu à la rectifier. Ce procédé, qui est d’ailleurs d’une application très générale, consiste à supposer ce que l’on veut voir tandis que l’on regarde l’objet avec attention et fixité ; si le visum supposé est réellement visible, la demande de l’esprit reçoit bientôt une réponse favorable : l’image se présente à la vue telle qu’on la pensait. Je fixe mon regard vers le centre de la glace en supposant qu’il y a là, non pas une surface reflétante, mais un plan coloré, quelque chose comme un mur ou un tableau. Bientôt, je vois plan ; la ligne d’horizon est venue, pour ainsi dire, se coller au niveau du cadre de la glace ; les lignes AC, BD, ne me paraissent plus brisées, mais droites, et le rectangle ABIK ne me paraît plus être un trapèze.

J’ai rectifié l’illusion en opposant à une idée habituelle et préconçue une autre idée également préconçue, mais non habituelle. Cette idée,