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notes et discussions

à l’état normal, nous accomplissons une injonction à l’heure fixée, l’heure ne nous la rappelle pas en tant qu’expression abstraite du temps. Mais nous établissons de nous-mêmes une association entre la chose à faire, et la production d’un certain phénomène, par exemple, l’apparition de l’aiguille à une place déterminée du cadran. C’est ainsi, entre autres, que l’on s’arrange pour ne pas manquer un train. Si l’accomplissement de l’action est placé à une date éloignée, on trace un signe sur un calendrier, ou bien on a soin tous les jours de se remémorer la date. On procède de cette façon pour payer une traite à l’échéance.

Eh bien, je crois qu’il doit se passer quelque chose d’analogue, à son insu, dans le cerveau de l’hypnotisé. Il faut que, chaque fois qu’il entre dans son état hypnotique — et combien de fois cela peut-il lui arriver sans que nous en sachions rien ! — il se remémore la date suggérée par exemple, dans le cas relaté par M. Beaunis, Mlle A… E… a dû se répéter souvent, dans le for de son inconscience, ou, si on l’aime mieux, de sa seconde conscience : N’oublions pas que le 1er janvier prochain je dois voir le docteur.

Remarquons au surplus que le 1er janvier est un jour mémorable, donnant fortement prise à une association. Plus curieuse serait l’expérience, si l’intervalle de 172 jours était purement abstrait ; mais des faits semblables pour des intervalles moindres, il est vrai, montrent qu’elle pourrait réussir. Je crois aussi qu’elle pourrait échouer. Seulement, encore ici, comme en beaucoup de cas analogues, on ne tient d’abord compte que des réussites, vu leur caractère étrange, et l’on néglige les échecs. Ainsi en serait-il si l’on opérait sur des individus à l’état normal : il y aurait de bons et de mauvais sujets. Bien entendu, je donne mon explication pour ce qu’elle vaut. C’est qu’il est si peu satisfaisant de regarder un phénomène comme inexplicable.

J. Delbœuf.

L’IDÉE DU BIEN ET DU JUSTE

Je voudrais présenter quelques observations d’un caractère exclusivement philologique au sujet de l’article de M. Lafargue intitulé : « Recherches sur les origines de l’idée du bien et du juste » qui a paru dans la Revue du mois de septembre dernier (p. 253-267). L’auteur de ce travail a cherché dans la linguistique des arguments à l’appui de ses vues, mais il ne semble pas avoir été très heureux dans cette partie de sa tâche. L’hypothèse, en matière d’étymologie, est un instrument dangereux, qui risque de blesser ceux qui le manient. Grâce à Bopp, Pott, Curtius, Bréal et d’autres savants, il n’est plus vrai de dire aujourd’hui, comme le prétendait saint Augustin, que l’explication des mots est aussi vaine que celle des songes ; mais