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caractère incomplet de l’individu, qu’on peut observer et qu’on doit poursuivre dans tous les domaines, s’atteste irrécusablement dans la reproduction. Comment se flatter d’atteindre le vrai, lorsqu’on soumet à la loi du contrat, qui suppose le libre arbitre, un ordre de faits dominé par la nécessité ? Sur quelles bases établir la réciprocité entre des termes dissemblables ? Puis, les contractants sont-ils seuls à considérer dans une affaire où des tiers à naître, où le peuple, où l’espèce, où l’avenir sont aussi fortement intéressés ? Comment reconnaître à la réflexion individuelle la compétence de régler ce qui se dérobe à la conscience et descend plus avant que la distinction des individus ? Confessant ici son impuissance, la raison du raisonneur ne devrait-elle pas s’effacer devant la raison de l’espèce, la coutume, la tradition ?

S’il existait sur le sujet qui nous occupe une révélation authentique et assez claire pour se passer d’interprètes, elle serait sans contredit un grand soulagement et un grand secours ; mais les révélations ne servent à rien lorsqu’on n’y croit pas ; et les interprètes officiels de la tradition chrétienne ont fait dans cette matière un mal dont, après les efforts de plusieurs années, nous ne parvenons point à sonder la profondeur. Les auteurs du dogme catholique ont d’abord fait du mariage un sacrement, intuition sans contredit saine et forte, puisque le sacrement a pour objet d’unir l’homme à son créateur, tandis que le mariage unit l’homme avec lui-même. Mais aussitôt, par une inconséquence inouïe, ils ont déclaré le célibat supérieur au mariage et nécessaire à la sainteté parfaite, ils ont mis du péché dans la reproduction. Ce blasphème insolent impute au Créateur la contradiction la plus cruelle et propose l’anéantissement pour but suprême à la créature, dressant ainsi le lit de toute impureté, car si le mariage n’est jamais exempt de souillure, un peu plus ou un peu moins n’importeront pas. Aucun pessimisme ne saurait aller plus loin dans cette négation de l’ordre où s’anéantit toute pensée.

La Réforme n’a pas consacré cette énormité, mais elle n’a pas sur la question de doctrine qui lui soit propre. Ainsi du côté de l’Église, inutile de chercher.

Les coutumes varient à l’infini suivant les temps et les lieux. D’ailleurs il n’est pas de sujet où le contraste soit plus frappant entre l’idée et le fait, entre les lois et les mœurs ; il n’en est pas où la contradiction règne à ce point dans les lois elles-mêmes ; il n’en est point où l’état de choses fondé sur la coutume et sur la tradition suscite autant de réclamations et semble gonflé d’autant d’injustice et de souffrances. On a donc beau se défier de soi-même et vouloir se récuser ; la question subsiste, elle est ardente, il faut organiser les