Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 20.djvu/53

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
49
CH. SECRÉTAN. — la femme et le droit

rapports sexuels suivant une loi rationnelle, et d’abord il faut chercher cette loi. Mais encore une fois, la loi de ces rapports pourra-t-elle être déduite des principes simples du droit commun ? L’idée de la personne, juridiquement égale et semblable à toute autre personne, suffira-t-elle à déterminer les effets légitimes d’une relation contractée entre deux parties différentes en raison même de ces différences, dont on ne tiendrait aucun compte ? C’est peu probable. Nous voyons reparaître ici, sous un jour très dur, le vice fondamental de toute notre société. Si les différences physiques et morales entre les deux sexes sont un élément à considérer d’une façon particulière dans l’organisation des rapports de famille, il est bien clair qu’attribuer à l’un d’eux le droit exclusif de formuler la loi de ces relations, c’est refuser à l’autre toute existence morale quelconque, et que se priver ici de ses lumières, c’est se condamner soi-même à la cécité.

Mais, quoi qu’il en soit de la compétence du législateur, il est difficile, pour la raison qu’on vient de rappeler, de soumettre le mariage à la loi générale des contrats. D’ailleurs les contractants ne sont pas seuls en cause. La justice condamne et déclare nulle une convention passée au détriment d’un tiers. Ici la réserve du droit des tiers reçoit nécessairement une interprétation extensive. Les tiers à protéger n’existent pas encore et n’existeront peut-être jamais, mais ils naîtront probablement de l’accord à conclure ; les contractants ont l’obligation d’en tenir compte, et dans l’intérêt de sa propre conservation aussi bien que dans l’intérêt privé de ces êtres problématiques, c’est un devoir pour l’État d’y veiller. Toute existence humaine résulte d’un acte auquel ont concouru deux personnes, dont l’une peut être individuellement constatée ou plutôt ne saurait rester inconnue sans des précautions et des artifices qui exigent presque nécessairement des complicités, tandis que l’identité de l’autre ne saurait être rigoureusement établie que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles, et déterminée autrement que par des probabilités ou par une fiction légale. Le parent connu est celui dont l’enfant a le besoin le plus immédiat, mais c’est aussi le moins apte à le faire subsister par son travail. En réalité l’enfant a besoin du concours des deux, à moins que l’État ne prenne à lui son entretien, tâche à laquelle il ne pourrait suffire. Comment obliger le père à remplir son devoir envers son enfant lorsque le père est inconnu ? Comment obliger celui qu’on tient pour tel à ce devoir, s’il ne croit pas à sa paternité ? La fiction légale tranche tout cela ; mais à quel prix ! Le mariage infécond et graduellement abandonné, la courtisane régnant, montant, débordant, inondant tout comme un nouveau déluge, et les enfants naturels, sur la misère et le mépris des-