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l’auteur montre : (a) qu’il y a des idées qui forment la matière d’un jugement (ex. les idées abstraites) et qui n’ont aucune influence sur notre action ; (b) qu’il y a des idées qui influent sur nous bien que nous les croyions fausses (ex. la peur des fantômes) ; (c) que le jugement est bien distinct de l’action qu’il exprime. « Il serait drôle, dit l’auteur, que ce jugement : Il pleuvra demain, se confondit avec l’action d’acheter un parapluie » ; (d) que l’influence d’une idée sur l’action est susceptible d’un grand nombre de degrés, tandis que le jugement n’a point de degrés. On veut plus ou moins, on ne juge pas plus ou moins, on juge ou on ne juge pas.

Il semble que ce quatrième argument soit la réponse la plus juste qu’on puisse opposer à Bain. Les trois précédents nous paraissent passer à côté de la question. Bain soutient que la volition est le résultat de la force des idées ; or, dans la doctrine de l’association, le jugement ne peut être autre chose qu’un résultat de cette nature, le jugement sera donc un phénomène de même nature que la volition et la volition un phénomène de même nature que le jugement ; à vrai dire, Jugement = Volition. Mais cependant les effets extérieurs peuvent différer. On peut réserver le nom du jugement aux volitions sans effet externe et celui de volition aux jugements qui ont une conséquence extérieure. Il semble bien que les trois premiers arguments de notre auteur ne portent pas contre la théorie associationiste ainsi entendue.

3o Un autre groupe d’erreurs résulte, d’après Bradley, de cette théorie que le jugement est constitué par une couple d’idées réunies par une copule. Interrogez ou répondez, l’interrogation contiendra les mêmes éléments que la réponse. Cependant la réponse seule est un jugement. Il ne peut donc se faire que le jugement soit constitué par les relations internes des éléments de la proposition. Ces relations ne sont rien de plus qu’une condition du jugement. — Mais l’auteur se place ici à un point de vue psychologique, où en effet il y a une différence entre une demande et une réponse, et non au point de vue logique où il n’y a que des réponses et point de demandes. La logique analyse ou reconstruit le donné, mais ne le crée pas. Partant de là, Bradley va montrer les principales erreurs qui résultent, suivant lui, de la théorie ordinaire : (a) Le jugement n’est pas une exclusion hors de ou une inclusion dans une espèce. Quand on dit A = B, on ne veut point dire que A est dans la classe des choses égales à B. — Sans doute, répondrons-nous, et M. Lachelier avait mis ce cas en lumière[1], mais cela prouve-t-il que A n’est pas une idée, que B n’en est pas une autre et que = n’est pas une copule ? — (b) Le jugement n’est pas une exclusion hors de ni une inclusion dans un sujet. Ainsi dans : A est égal à B, pourquoi attribuer à A un rôle supérieur à B ? — Ceci devient encore plus évident si l’on prend pour exemple cette proposition : Rien n’est fait. — Soit encore, dirons-nous, mais cela empêche-t-il que A soit une idée, que égal à B en soit une autre et que est

  1. De natura syllogismi, in-8o, Ladrange, Paris, 1871.